Paul Deschanel

Paul le président

André Radeau ouvrier de la Compagnie de chemins de fer de l’Ouest marche le long de la voie ferrée à la hauteur de Montargis, son falot à la main, inspectant les traverses et le serrage des boulons.  Il chemine sur le ballast quand il lui semble entendre un bruit de pas et se retournant, il sursaute en voyant la silhouette d’un pauvre homme en sang ; son visage est tuméfié et il porte un pyjama blanc déchiré.
« Mais que faites-vous ici, mon pauvre homme ? Que vous est-il arrivé ? »
« Mon ami, ça va vous étonner mais je suis le président de la République… » 
Riant sous cape, l’ouvrier murmure « et moi la reine d’Angleterre ». Il pense avoir affaire à un ivrogne, un vagabond et se dit qu’il faut le soigner d’abord.
André Radeau, l’amène à la maison du garde-barrière. Il tambourine à la porte réveillant les occupants. Ceux-ci allongent le pauvre homme dans leur lit. On lave son visage, pose quelques compresses sur ses plaies et ses bras tuméfiés. Le blessé reprend peu à peu ses esprits et réitère ses réponses sur son identité Il est bien le chef de l’Etat français et a glissé de la fenêtre à guillotine du train présidentiel.
Le garde-barrière part prévenir la gendarmerie du village de Corbeilles tout proche. La femme continue les soins, lui enlève ses chaussons. Elle dira plus tard aux journalistes venus l’interroger :
« J’avais bien vu que c’était un monsieur : il avait les pieds propres ! »
Le blessé caresse les cheveux de la femme qui s’occupe de lui en murmurant :
« Vous êtes la vierge-Marie », puis il s’endort.
Deschanel chambre des députés   En cette fin du XIXe siècle ce n’est qu’à 5 heures du matin que le sous-préfet de Montargis est prévenu par télégramme de cette rocambolesque affaire. De son côté, la suite présidentielle qui attend sur le quai de la gare, menée par le ministre de l’Intérieur repartira bredouille car le wagon et le lit du chef de l’Etat sont vides.

Mais qui est donc cet iconoclaste Paul Deschanel, 6e président de la IIIe République française.
Après une enfance turbulente et dissipée, ce n’est qu’au collège que Paul devient studieux. Il passe un baccalauréat littéraire et mène de front une carrière de journaliste et d’homme politique. C’est sous les ors et les lambris de la République qu’il se révèle le plus brillant, devenant sous-préfet, puis député de l’Eure-et-Loir, et enfin président de la chambre des députés à deux reprises.
Ce qui le distingue de ses collègues, hommes politiques, c’est son tempérament artistique. Il n’hésitait pas à monter sur les planches  au théâtre pour déclamer et se faire applaudir. De ce goût pour la mise en scène, il lui restera la faculté de faire des discours enflammés accompagnés d’un verbe et d’une gestuelle passionnés. Il est un orateur fascinant avec une sensibilité exacerbée qui le conduisit à des coups d’éclats, des foucades.

À suivre
05 octobre 2022