Colette et Maurice Goudeket

Trente années de passions

Où Colette trouve une vie affective plus sereine, mais très active.

Mélomane avertie, Colette collabora avec Maurice Ravel entre 1919 et 1925 pour la fantaisie lyrique L’Enfant et les Sortilèges. Elle fut l’amie de la Reine Elisabeth de Belgique, de Marguerite Moreno. Elle fréquentait quelques fois les salons ce qui lui valut quelques brouilles avec la célèbre demi-mondaine de la Belle Epoque, Liane de Pougy. Elle fut aussi présidente du jury du prix littéraire La Renaissance créé par Henry Lapauze en 1921 en vue de distinguer « l’auteur du meilleur ouvrage ».

Maurice goudeketC’est en accompagnant son amie Marguerite Moreno chez Andrée Bloch-Levallois au début de l’année 1925 qu’elle rencontra Maurice Goudeket, de seize ans son cadet, qui l’accompagnera pendant ses trente dernières années et qu’elle épousa en 1935 (pour qu’ils soient invités et puissent assister au voyage inaugural du paquebot Le Normandie ; n’oublions pas que l’Amérique était alors très puritaine).
Il était courtier en perles avant de devenir homme d’affaire et journaliste et sera aussi son biographe.
D’origine juive il sera arrêté par la Gestapo en décembre 1942. Il sera libéré le 6 février 1942, grâce aux démarches de Colette auprès de l'ambassadeur d'Allemagne à Paris, Otto Abetz dont l'épouse est française et admiratrice de Colette, ainsi qu'aux interventions du gouvernement de Vichy.

Elle connut enfin la sérénité affective avec lui.

Outre le fait qu’elle écrivit plus de 50 livres, elle avait d’autres activités littéraires, comme les adaptations théâtrales, dialogues de films, conférences, correspondances et même des articles de publicité Pourtant elle travaillait difficilement parce qu’infiniment scrupuleuse elle recommençait souvent Elle savait que, la plume à la main , elle ne relâcherait plus son effort, ni sa rigueur Il lui fallait pour un temps, renoncer à tout ce qui la sollicitait si vivement au dehors et elle s’y résignait avec de grands soupirs.

Colette avait pour parler d’elle-même comme un parti pris de dénigrement. Elle disait :
«  Je n’ai jamais changé. Je me souviens de moi avec une netteté, une mélancolie qui ne m’abusent point. Le même cœur obscur et pudique, le même goût passionné pour tout ce qui respire à l’air libre et loin de l’homme, arbre, fleur, animal peureux et doux, eau furtive des sources inutiles, la même gravité vite muée en exaltation sans cause... Tout cela c’est moi... Mais ce que j’ai perdu, c’est mon orgueil, la certitude d’être une enfant précieuse, de sentir en moi une âme extraordinaire d’homme intelligent, une âme à faire éclater mon petit corps. Hélas j’ai perdu presque tout cela, à ne devenir après tout qu’une femme... Qui est venu pour me couper mes tresses de Cybèle ?... »

De son enfance campagnarde, Colette était aussi très attachée à la terre, elle était sans doute la romancière la plus sensible à la nature, à ses parfums comme à ses couleurs. Sa prise de contact avec les choses se faisait par tous les sens et il n’y a pas eu de sens plus aigus que les siens. Lisez La Naissance du jour, c’est sublime.

Colette - chatsElle aimait aussi les animaux et surtout les chats dont elle disait :
« À l’espèce chat, je suis redevable d’une certaine sorte, honorable de dissimulation, d’un grand empire sur moi-même, d’une aversion caractérisée pour les sons brutaux, et du besoin de me taire longuement... Pour la femme comme pour le chat, le mensonge est la première parure d’une amoureuse... À fréquenter le chat, on ne risque que de s’enrichir. Serait-ce par calcul que depuis un demi-siècle, je recherche sa compagnie ? Je n’eus jamais à le chercher loin : il naît sous mes pas. Chat perdu, chat de ferme traqueur et traqué, maigri d’insomnie, chat de librairie embaumé d’encre, chats des crèmeries et des boucheries, bien nourris, mais transis, les plantes sur le carrelage ; chats poussifs de la petite bourgeoisie, enflé de mou ; heureux chats despotes qui régnez... sur moi ».

À la parution du livre de Colette La Chatte, Le critique littéraire Henri de Régnier lui rendit un vibrant hommage, le 11 juillet 1933, dans les colonnes du Figaro.
« C’est d’une princesse chatte au long poil soyeux, couleur de fumée et où passent de mobiles reflets argentés que Mme Colette nous conte l’histoire, dans un livre que seule, elle pouvait écrire, car nul n’est entré mieux qu’elle dans la familiarité de ceux qu’on a appelé nos ‘’frères inférieurs’’. Ce n’est pas d’ailleurs, la première fois que l’auteur des célèbres Dialogues de bêtes, nous montre l’estime où elle tient ces ‘’bêtes’’ dont nous avons fait les compagnons de notre vie quotidienne et auxquelles nous avons donné auprès de nous une place de choix que nous refuserions avec raison à bien des humains. L’admirable livre de Mme Colette est un des plus originaux et des plus beaux qu’elles ait écrits en cette langue simple, drue, subtile, nuancée, profondément et fortement classique, en cette langue d’une perfection naturelle et d’une sève puissante qui a fait de l’auteur de Chéri le grand écrivain que nous admirons. »

Colette dernières annéesÀ la fin de sa vie, assombrie par la maladie qu’elle affronta avec un courage viril, elle écrivit encore :
« Il faut vieillir. Ne pleure pas, ne joins pas des doigts suppliants, ne te révolte pas : il faut vieillir... Regarde-toi, regarde tes paupières, tes lèvres, soulève sur tes tempes, les boucles de tes cheveux : déjà tu commences à t’éloigner de ta vie, ne l’oublie pas, il faut vieillir ! Éloigne-toi lentement, lentement, sans larmes ; n’oublie rien ! Emporte ta santé, ta gaieté, ta coquetterie, le peu de bonté et de justice qui t’as rendu la vie moins amère ; n’oublie pas ! Va-t’en parée, va-t’en douce et ne t’arrête pas le long de la route irrésistible, tu l’essaierais en vain, puisqu’il faut vieillir ! Suis le chemin et ne t’y couches que pour mourir. Et quand tu t’étendras en travers du vertigineux ruban ondulé... si tu as, jusqu’au bout, gardé dans ta main, la main amie qui te guide, couche-toi en souriant, dors heureuse, dors privilégiée... »

Terminons ce portait d’une femme exceptionnelle, où il y aurait tant à rajouter, par ces mots de Pierre Brisson qui fit sa nécrologie le 4 août 1954 au lendemain de sa mort :

« ... Il y avait en elle une extraordinaire vigueur paysanne. Ce qu’elle pensait, ce qu’elle éprouvait,ce qu’elle formulait avec tant de bonheur restait lié à des forces primitives. Le contraire de la psychologie d’expert, rien de la tradition des moralistes français ; un contact étroit avec les êtres et les choses, une présence à tous les spectacles, une alerte perpétuelle de tous les sens (...) Dans la littérature féminine, elle occupe une place unique. Elle écrivait comme un fauve chasse, de race. Cadette de Gide, de Claudel et de Valery, mais de la même génération qu’eux, elle complète le groupe. Elle y ajoute la note instinctive. Les jeux de l’esprit ne la retenaient guère. Les jeux de la vie la passionnaient. Il y avait en elle : du mâle par l’initiative et l’autorité, de la femme par l’intuition et le consentement. »

Fabulgone, le 19 mars 2019

Commentaires

  • P'tite ruine
    • 1. P'tite ruine Le 10/04/2019
    Magnifique hommage et portrait d'une femme exceptionnelle!
    Triste de lire les dernières lignes car tu as un réel talent d'écrivain et de narrateur mon poupa. Merci pour ce beau partage et m'avoir fait découvrir Colette de la plus belle des manières <3
    Tendres bisous
    • fabulgone
      • fabulgoneLe 11/04/2019
      C'était pour moi un grand plaisir d'écrire cette vie extraordinaire d'une écrivaine exceptionnelle. Un bouquet de bisous