Stagiaire-journaliste, les prémices d'une romancière

Où l'on découvre une jeune fille pétillante, volontaire, à la limite de la provocation, mais studieuse en classe.

Née le 14 novembre1907, Astrid Lindgren est la fille de Samuel August Ericsson et de Hanna Jonsson. Elle a un frère ainé Gunnar, né en 1906 et deux sœurs Stina née en 1911 et Ingegerd née en 1916. Elle a grandi à Näs près de Wimmerby dans le Småland en Suède.
Astrid était petite, mince et alerte avec de longs cheveux nattés en deux tresses. Elle pétillait de vie, était drôle et un peu sotte avec son complice de frère, mais ne chahutait jamais en classe. Pleine de talents, sur son bulletin de fin d’étude, il n’y avait que des félicitations dans toutes les disciplines. Elle avait espéré être institutrice, mais sa mère s’y était opposée (nous n’en connaissons pas la raison).

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Famille AstridSes parents étaient un couple de métayers du presbytère ce qui les plaçait sensiblement au-dessus des simples paysans et des habitants de la ville. Il y avait une chose sur laquelle on ne transigeait pas : les quatre enfants devaient aider à la ferme et aux champs tout au long de l’année et même avant de partir à l’école à Wimmerby ; même le jour de sa confirmation, il fallait ramasser les navets avant de se laver et de se changer. Deux phrases clés rythmaient la philosophie des parents : « Il faut renoncer à ce qui est moins nécessaire afin de réaliser ce qui est vraiment nécessaire » et « Seul celui qui travaille et qui apprendra à aimer son travail sera heureux ». Mais jamais le travail n’était une corvée, chacun œuvrait selon ses capacités et son âge.

Astrid en 1921 avait rédigé pour le journal Wimmerby Tidning un texte que la rédaction avait qualifié de : « fait preuve d’un talent stylistique inhabituel pour une jeune personne… ». L’article : Dans notre jardin traitait d’un sujet qui allait revêtir une importance fondamentale dans l’œuvre d’Astrid : les jeux des enfants qui se passaient dans les années 1920 dehors, dans la nature et découlaient du lien très proche entre les hommes, les bêtes et la nature.
Elle écrira : « Les jeux, oui, ils remplissaient nos journées ! De quoi mon enfance aurait-elle eu l’air sans les jeux ? D’ailleurs que deviendraient les enfants s’il n’y avait pas de jeux dans leur existence ? ».
En mai 1923, c’était la fin de l’école et pour sa dissertation d’examen, elle avait choisi d’écrire sur un sujet très sage et sérieux : L’activité dans les monastères au moyen-Âge où elle montra son sens de l’imagination développé, ainsi qu’un certain sens de l’humour. En voici un extrait : « Une chose à laquelle les religieuses consacraient beaucoup de temps, c’était le travail manuel, elles brodaient des nappes d’autel très ouvragées, elles faisaient de la dentelle, des vêtements et bien d’autres choses encore. Elles étaient incroyablement habiles et je crois que, si elles avaient eu le droit de se marier, ce qui n’était pas le cas, elles auraient eu un trousseau magnifique. »

Astrid Ericsson avait un caractère bien trempé et était un peu révoltée. Victor Marguerite avait alors publié : La garçonne, dans les années 1920, un ouvrage provocateur vendu à plus d’un million d’exemplaires qui est devenu un livre culte pour d’innombrables jeunes femmes.
En 1924 pour imiter l’héroïne du roman, elle se fit couper les cheveux et fut la première de la ville de Wimmerby à porter les cheveux courts. Autant dire que l’accueil fut glacial à son arrivé à la maison ou personne n’a dit mot et tout le monde l’a regardé en silence. Très certainement Hanna, la mère, a dû lui exprimer clairement sa pensée, lorsqu’elle s’est retrouvée seule avec sa fille.

Peu de temps après Reinhold Blomberg, rédacteur en chef et propriétaire du journal Wimmerby Tidning, qui n’était ni journaliste, ni écrivain mais qui savait reconnaître un bon narrateur, l’embaucha en tant qu’élève-journaliste. Pour son salaire modeste de 60 couronnes, elle devait rédiger des avis de décès, des petits articles et des entrefilets, mais aussi répondre au téléphone, tenir des registres, lire les épreuves et faire des courses en ville. Il lui confia la rubrique Ici et maintenant qui proposait des brèves sur des crimes, des accidents et des événements étonnants produits quelques part en Suède.
Elle y exerça un réel talent comme notamment l’article sur un monsieur âgé, qui au printemps 1925, alors qu’il devait prononcer l’éloge funèbre d’un ami s’effondra raide mort à côté du cercueil, ou celui de cette femme muette depuis 22 ans qui s’est remise à parler à voix haute aux personnes réunies dans l’église, lors des funérailles de sa mère.
Mais son talent fut salué lorsqu’elle écrivit des articles plus étoffés comme l’inauguration d’une nouvelle section de chemin de fer entre Wimmerby et Ydrefors, un article de quatre pages. Et ensuite un feuilleton féminin en trois épisodes intitulé Vagabondage relatant les aventures de sa randonnée de trois cent kilomètres accompagnée de cinq de ses amies en juillet 1925 où elle rencontrèrent Ellen Key, une des intellectuelles les plus influentes de la Suède moderne qui avait écrit un livre courageux paru en 1900, sur les droits de l’enfant, leur éducation et l’amour absolument nécessaire entre les parents et leurs enfants.

Les textes qu'elle rédigeait n’étaient pas signés et il n’est pas possible de préciser le détail de ses contributions au journal, mais la lettre de recommandation de Reinhold Blomberg rédigée en août 1926, lorsque l’emploi d’Astrid Ericsson doit brusquement prendre fin indique qu’elle était une stagiaire talentueuse, vive et particulièrement travailleuse et qu’elle avait contribué à des articles sur des sujets les plus divers. Cette lettre précise qu’elle a rempli toutes les tâches possibles, tant pour le secrétariat que pour la rédaction, et qu’elle était toujours allé sur le terrain quand il le fallait. « Et toujours avec une bonne humeur et une bonne volonté digne d’éloges », soulignait le rédacteur en chef.

Le chapitre suivant : Première épreuve, vous montrera les raisons de la fin brutale de son emploi.