Les Usines-Internats

La condition féminine en 1905

L’industrie de la soie, qui satisfait aux besoins de luxe, a de tout temps, en région lyonnaise, été dure et incertaine pour l’ouvrier. Après des périodes de prospérité, un caprice de la mode amena les jours de famine et de chômage ; La concurrence s’est développée ; la soierie s’est démocratisée ; il a fallu lutter et répondre aux demandes de bon marché. La main d’œuvre peu coûteuse était nécessaire et fut trouvée dans la campagne, dans l’emploi de jeunes filles réunies dans les usines-internats.

Celles-ci sous de fausses apparences de philanthropie cachèrent une organisation sur laquelle, l’attention du législateur devait être appelée afin de couper court aux abus qu’elle favorisait.

Qu’est-ce qu’une usine-internat de type courant dans les industries de filature, du moulinage et du tissage de la soie ?
Usine pensionnatUn industriel s’installe loin des centres importants, en un coin perdu de l’Ardèche, du Rhône ou de la Loire. Il recrute son personnel dans les quinze kilomètres à la ronde ; dans les villages et les hameaux, les jeunes filles sont sollicitées et embauchées. Pas de femmes adultes ou mariées : elles exigent un salaire trop élevé et n’ont point la subordination voulue.

D’abord admises comme apprenties à des salaires ridicules, pendant un laps de temps plus ou moins long, elles deviennent ouvrières jusqu’au jour, où se mariant, elles sont « remerciées ». Eloignées du domicile de leurs parents, les jeunes filles ne sauraient y rentrer chaque soir. L’usine étant par ailleurs isolée, elles ne peuvent trouver alentour des familles qui les logent. Aussi le patron installe-t-il, à côté des bâtiments de travail, des dortoirs, un réfectoire, tout ce qu’il faut pour les héberger Naturellement, le patron diminue leur salaire, location, entretien et nourriture.

Qu’elle était la vie des ouvrières, qui sont pour la plupart des enfants, privées des soins qu’elles trouveraient dans leur intérieur ?  
Au son de la cloche ou du hurlement de la sirène, elles vont au travail et sont astreintes à dix heures de travail journalier confiné. Délivrées en sortant de l’atelier du joug des contremaîtresses, elles tombent sous la surveillance de religieuses chargées du réfectoire et du dortoir et elles n’ont pour intimité éducative que leurs compagnes de labeur. Au réfectoire moyennant finances, les sœurs proposent la soupe et un plat du jour que les ouvrières ne prennent souvent pas, par souci d’économie.

Ouvrières en usine-pensionnatLe samedi après-midi, l’usinier leur donne congé et elles s’en vont chez elles. Certaines maisons ont un personnel si nombreux que des wagons spéciaux leur sont réservés dans les trains du soir ; d’autres les disséminent dans les campagnes avec de grand omnibus. Le lundi matin, trains et omnibus les ramènent, chargées de paniers car elles ont fait à la ferme ou au village leurs provisions de semaine : pain épais qui ne sèche pas et pétri par la mère, lard, fromage, petit pot de beurre, fruits.

Elles mangeront rapidement leurs repas dans un réfectoire morne. Au dortoir, c’est pire encore ; un rapport de l’inspection du travail constatait que sur 20 000 ouvrières logées, une incroyable promiscuité douloureuse s’imposait. 16 000 couchaient à deux par lit, 4 000 au plus avaient un lit individuel. Non seulement les dortoirs sont encombrés, mal aérés, insuffisants, mais la tuberculose y exerçait ses ravages par manque de moyen pour la propreté physique et l’exposition à la contagion du couchage à deux. C’est quelque chose de révoltant !

Pas de suivi scolaire et s'il y avait sans doute l’influence de l’enseignement religieux, dispensé avec zèle par les aumôniers et les sœurs, cela ressemblait plus à une forme de violation de la liberté de conscience qu’à une vraie éducation.

Tout ce qui est écrit ci-dessus vient de Justin Godart qui menait un vrai travail de journaliste sur la condition ouvrière ; suite à ce constat, il demanda en 1907 (il était alors député) qu’une sévère réglementation interviennent pour placer sous le contrôle de l’inspection du travail en plus des ateliers, les réfectoires et les dortoirs, deux éléments qui échappaient à leurs attributions. Il voulut qu’un règlement clair et précis interdise le couchage à deux, que soit assuré un cube d’air et une surface, déterminés par lit, et que soit proclamé l’éducation ménagère obligatoire pour les jeunes filles internées à l’usine, comme c’était alors le cas dans les écoles publiques de filles...
Je rappelle que lorsqu’il fut ministre du travail et de l’hygiène en 1924 et de la Santé en 1932, il fit promulguer de nombreuses lois d’amélioration des conditions de travail des femmes et des enfants, sur la durée journalière, les rythmes hebdomadaires et le travail de nuit...

Chenuses colombes, s'il existait de nos jours un personnage politique de cet acabit, les progrès sur l'égalité sociale hommes/femmes seraient sans doute plus probant. 

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25/01/2018