Le tailleur d'Amplepuis
Thimonnier inventeur de la machine à coudre
1906 - La petite ville d’Amplepuis veut élever, sur sa place principale, une statue. Dans ce but, elle a ouvert une souscription. Si tous ceux qui doivent leur fortune à celui qu’Amplepuis va glorifier, envoyaient le juste tribu de leur reconnaissance, c’est un monument magnifique qu’on pourrait ériger au pauvre tailleur d’habits, Barthélemy Thimonnier, l’inventeur de la machine à coudre.
Il faut avoir visité, comme je l’ai fait, une des colossales usines de la Cie Singer, qui chaque jour, livrent au monde entier, des milliers de machines, pour comprendre combien fut féconde l’idée de Thimonnier. Naturellement, elle ne lui profita point. Sa veuve, en considération des services qu’il avait rendus à l’industrie, obtint en 1866, un secours de 600 francs.
Tirant péniblement l’aiguille dans sa boutique d’Amplepuis, Thimonnier voulut au geste machinal de son bras substituer celui d’un petit métier. Il connaissait la lenteur de la couture, ses fatigues, la monotonie de ce labeur interrompu seulement par le patient et minutieux tâtonnement de l’enfilage. Il chercha, subit des déboires, les avanies qui accablent les innovateurs, et, en 1830, la première machine à coudre était créée.
Il était bien rudimentaire cet engin modeste conservé au Musée des Tissus de Lyon. Il semble à une ratière avec au-dessus, le ressort qui doit fermer la porte sur l’imprudente souris ; il est actionné directement par une corde sur laquelle le pied agit. Chaque traction ne produit qu’un point. Mais bien vite Thimonnier perfectionna son œuvre.
En 1948, il obtint 300 points à la minute ; il peut broder. Il s’associe pour donner à son invention le plus grand développement possible. Il établit sa machine pour le prix modique de 50 francs. Mais il se heurte à de multiples difficultés et lorsqu’il meurt en 1857, il peut voir des concurrents étrangers, faire une splendide moisson avec l’idée qu’il a fait germer au prix de tant d’efforts.
À n’en pas douter, la machine de Thimonnier a servi de type à toutes les machines à coudre modernes. Malgré leurs mécanismes compliqués, malgré tous leurs perfectionnements, et tout le luxe de ciselure et d’ébénisterie dont on les pare, elles sont bien les filles du métier de 1830, tout en bois, fruste, sans élégance, que Thimonnier, aux heures noires de misère, portait sur son dos de village en village comme une curiosité, faisant la quête pour vivre.
Thimonnier sut prévoir avec une rare clairvoyance les heureuses conséquences sociales de son invention, désireux de donner à ses compagnons un moyen de diminuer leur peine et d’augmenter leur bien-être. Mais comme Jacquard, il connût les brutalités des ignorants pour lesquels toute nouveauté technologique est un mal. Dans Le Journal de Villefranche du 14 septembre 1845, un économiste imbu de conservatisme écrivait :
« Cette machine destinée à produire une révolution dans l’industrie couturière aura des conséquences funestes. Si avec une machine à coudre on fait l’ouvrage de cinq couturières, on réduit au chômage quatre d’entre-elles. Qu’importe aux ouvrières la bonne confection lorsque le pain leur manquera ! Ce soi-disant progrès doit être repoussé comme une calamité publique. »
Thimonnier répondit le 28 septembre :
« Au lieu de proscrire les innovations destinées à l’accroissement du bien-être de tous et à l’émancipation de la femme, appelons plutôt à grands cris la réforme de l’éducation féminine. Provoquons la création d’écoles d’arts et métiers pour elle, comme pour l’ouvrier. Peut-être verrons-nous alors diminuer la choquante disproportion du salaire entre le frère et la sœur. » Il rajouta : « Evidemment une nouvelle machine cause une crise passagère et son apparition ne va pas sans quelques alarmes et quelques perturbations dans les habitudes de certains travailleurs. Faut-il sacrifier les générations futures ? Etouffer, les enfantements créatifs de l’esprit humain, lui interdisant d’aller plus loin dans toute innovation ? »
Il termina en déclarant : « L’ouvrier qui s’insurge contre les machines, c’est l’enfant qui se révolte et maltraite sa nourrice. En épargnant du travail, et en développant l’industrie de l’habillement et du linge, mon invention créera de la richesse nationale sans compter les avantages liés à l’exportation. »
Le vœu de Thimonnier s’est réalisé au-delà même de ses espérances. La postérité pour laquelle il a travaillé lui doit un hommage. Apportons notre contribution à la souscription lancée par la ville d’Amplepuis pour élever une statue au glorieux artisan qui a souffert pour améliorer le sort des travailleurs et contribuer à la prospérité de son pays.
Texte de Justin Godart, 1906
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