Journal du Festival Extraits
Marina Vlady
Elle a choisi les films qu'elle présente au festival Lumière. Ils témoignent d'une carrière riche et audacieuse.
On reconnaît sa voix entre toutes : claire, un peu chantante, un sourire au bout du fil. Marina Vlady est une aventurière : elle l’a été dans sa carrière au cinéma et au théâtre, elle l’a été aussi dans sa vie personnelle, qui l’a trimbalée d’Afrique en URSS, bien avant la chute du régime soviétique.
Elle est la fille cadette d’une famille de Russes émigrés avant la Révolution, les Poliakoff. Deux de ses sœurs, Odile Versois et Hélène Vallier, étaient également comédiennes, ce qui leur a permis de jouer ensemble, sur scène, Les Trois sœurs, de Tchekhov.
La carrière de Marina Vlady est à la fois prodigieuse, riche de près de cent films, et mystérieuse : il y a les incontournables, Godard, Welles, et cette Princesse de Clèves version Jean Delannoy qui exaltait sa beauté. Mais aussi des œuvres plus rares, des « films orphelins », qui sont parfois les sommets de parcours de cinéastes moins célébrés.
« C’est toute l’histoire de ma carrière, j’ai toujours privilégié les textes et les rôles, sauf quand j’avais vraiment besoin d’argent ! » En témoignent les films rares qu’elle a choisis pour cet hommage lyonnais.
« Je suis heureuse de l’invitation du festival Lumière. Généralement, on me dit : tiens, tel film a été restauré, peux-tu venir le présenter ? A Lyon, j’ai choisi les films que je voulais montrer. » Elle nous explique ses choix.
Avant le déluge, d’André Cayatte C’est mon premier grand rôle français après dix films en Italie. J’ai débuté à 10 ans en Italie. J’y ai vécu jusqu’à mes 17 ans et mon mariage avec Robert Hossein. J’avais avec moi ma mère et une de mes sœurs. J’ai eu des premiers rôles, comme Jours d’amour, avec Mastroianni, un très beau film. J’étais une grande adolescente, à 13 ans je faisais 1m70, physiquement j’étais déjà une jeune femme. L’un de mes premiers rôles en Italie était celui d’une fille mère, alors que je n’avais aucune notion de ce qu’était le sexe ou la maternité ! Mon souvenir de Cayatte ? Un aigle. Il avait une gueule d’aigle, des yeux très perçants. Il était très autoritaire, mais il nous aimait beaucoup, on était ses « petits ». Un premier grand rôle en français, j’ai eu beaucoup de mal. En Italie, il n’y avait pas de son direct, je pouvais bafouiller mes répliques, là il fallait qu’on entende ma voix. L’ingénieur du son avait une baguette et me tapait sur les fesses pour que je parle plus fort !
Le Lit conjugal, de Marco Ferreri Un film magnifique, d’une drôlerie, d’un anticléricalisme délirant ! Marco Ferreri était un homme charmant, un copain avec lequel je me suis tout de suite merveilleusement entendue. Je me souviens de cette fois où, de façon impromptue, après qu’on avait tourné sur la plage d’Ostie, il s’était déshabillé et avait plongé dans la mer. Je l’avais suivi ! Il m’avait raconté qu’il avait fait partie des plongeurs d’attaque de l’Italie fasciste. Lui, l’anarchiste ! Le film m’a valu le Prix d’Interprétation au Festival de Cannes 1963. Je ne m’y attendais pas du tout. On m’a prévenue la veille, je suis tombée de ma chaise, j‘ai vite enfilé une petite robe noire !
Un amour de Tchekhov, de Sergueï Youtkevitch J’y tiens beaucoup. Un film sur Tchekhov, mon auteur préféré ! En russe ! J’étais une star en Russie depuis le succès de La Sorcière, en 1956, un beau film tiré d’un récit de Kouprine. Le tournage a duré près d’un an et demi, parce qu’on respectait le rythme des saisons. J’avais une suite dans un hôtel et j’y ai accueilli tout ce que Moscou comptait comme créateurs et comme personnages intéressants. Et c’est à cette période que j’ai rencontré Vladimir Vissotski [acteur, poète et chanteur, toujours au bord de la dissidence, une star dans l’URSS des années 70]. Nous nous sommes mariés, j’ai vécu en URSS pendant douze ans.
Elles deux, de Marta Meszaros Un de mes plus beaux rôles, très concret. Et puis Marta Meszaros a écrit au débotté une petite scène pour que Vladi Vissotski vienne me rejoindre en Hongrie et jouer avec moi. Une scène superbe, il neigeait, sur la route de grands réverbères se balançaient. C’est la seule fois où l’on a joué ensemble. Les autorités soviétiques avaient toujours fait interdire nos projets communs. Il reste ça, au moins.
Le Temps de vivre, de Bernard Paul
Que la fête commence, de Bernard Paul.
Bertrand Tavernier était l’attaché de presse de ce film militant de Bernard Paul, sur la classe ouvrière, que j’aime beaucoup. Nous l’avons fini pendant les grandes grèves de mai 68, on nous avait permis de continuer à cause du sujet. On l’a présenté dans toute la France, avec des débats.
On était une bande formidable : Bernard Paul, Françoise Arnoul qui était sa compagne, Michel Cournot. Et Bertrand. Je crois que c’est le souvenir de nos gueuletons, ces soirées où l’on rigolait et chantait, qui lui a donné l’idée de me faire jouer la favorite du Régent dans Que la fête commence.
Il a senti quelle bonne femme j’étais réellement : au fond, je ne suis pas la Princesse de Clèves, je suis plutôt la Marquise de Parabère !
cliquez sur l'image
— Propos recueillis par Aurélien Ferenczi
Daniel Auteuil
Daniel Auteuil débute par la farce, le théâtre de boulevard revisité, puis gagne petit à petit avec constance, travail, humilité, ses galons de grand comédien : deux César, un Prix d’interprétation à Cannes. Il est un acteur du Sud, fils d’artistes lyriques, né à Alger, enfance à Avignon qui monte à Paris, conquiert le Nord, mais n’oublie jamais ses origines, à l’image des trois films qu’il a signés comme réalisateur d’après Marcel Pagnol La Fille du Puisatier, Marius, puis Fanny.
Daniel Auteuil a d’abord fait rire, au théâtre chez Gérard Lauzier Le Garçon d’appartement, au cinéma chez Claude Zidi Les Sous-Doués. En 1986, il montre dans le rôle torturé d’Ugolin, dans Jean de Florette et Manon des sources de Claude Berri, déjà d’après Pagnol qu’il sait aussi déranger et émouvoir. Claude Sautet achève de l’accoucher d’un autre acteur moins exubérant, plus mystérieux avec Quelques jours avec moi puis Un cœur en hiver. Suivront des collaborations fructueuses avec Patrice Chéreau La Reine Margot, André Téchiné Ma saison préférée, Jaco Van Dormael Le Huitième jour, qui lui vaut sa récompense cannoises, Régis Wargnier Une Femme française, Benoit Jacquot, Sade, Michael Haneke, Caché, Philippe de Broca Le Bossu.
Immense carrière, il est le héros du nouveau film de Nicolas Bedos, La Belle Époque, jouant un homme mûr qui se retourne vers sa jeunesse et tente de retrouver l’ivresse d’un grand amour qui s’est peu à peu affadi.
— Aurélien Ferencz
Extrait du journal du Festival du 15 octobre - Interview
Fils de chanteurs lyriques « A quatre ans, je jouais le fils de Madame Butterfly. Lorsque je regardais les acteurs interpréter le rôle du comique, je me disais, c’est ce que je veux faire ! Et puis je voyais mes parents faire un métier où ils riaient tout le temps ! Faire de l’opérette m’a donné une assurance sur scène. J’ai toujours considéré qu’il ne pouvait rien m’arriver sur scène. Je n’ai pas fait de choix de carrière, j’ai fait des choix de plaisir : j’ai traversé les films toujours avec la même énergie, le même bonheur ».
De Zidi à Pagnol « C’est grâce aux Sous-Doués, qui a traversé des décennies et à la mémoire des spectateurs que je suis encore là. Six ans plus tard, le tournage de Jean de Florette a été une période magnifique : j’ai rencontré la mère de ma fille Nelly [Emmanuelle Béart], j’ai joué avec le grand Yves Montand et je me suis fait des amitiés à vie ! »
Claude Sautet « Pour Quelques jours avec moi, nous avons créé un personnage qui n’a pas accès aux sentiments, nous avons inventé quelque chose avec Claude. Il m’a appris la rigueur, la sincérité, il m’a donné une colonne vertébrale ».
Nicolas Bedos « Il a un réel talent d’auteur et il s’est révélé comme un grand metteur en scène. Sur La Belle époque, on a assisté tous ensemble à la naissance d’un grand cinéaste ».
— Propos recueillis par Laura Lépine
Jane Fonda
Vendredi 11 octobre, à Washington, la célèbre actrice américaine Jane Fonda organisait une manifestation pacifique pour dénoncer le réchauffement climatique. Sur les marches du Capitole, le siège du Congrès américain où le droit de manifester est restreint, la star âgée de 81 ans et quinze autres personnes ont été interpellées par les forces de l'ordre, puis libérées un peu plus tard.
Article du journal du festival du dimanche 13 octobre.
(cliquez sur la photo)
« On l’avait quittée il y a un an tout juste, plus engagée que jamais, transformant La Sortie des Usines Lumière en film militant. Jane Fonda, Prix Lumière 2018, est toujours en forme, merci, et toujours en colère : elle s’est fait arrêter vendredi après-midi, à Washington, devant le Capitole, le siège du Congrès, où elle manifestait contre le changement climatique. La vidéo de l’incident a fait le tour de la toile : on la voit, en manteau rouge et la tête haute, être conduite menottée vers une voiture de police.
Jane Fonda a été libérée peu après, sans que l’on sache encore si des poursuites seront engagées contre elle. Mais elle a déjà déclaré qu’elle reviendrait, tous les vendredis, manifester devant le Capitole…
Jane, si vous lisez ce journal, sachez que l’asile politique vous sera accordé sans problème à Lyon ! » A.D.
André Cayatte
Journal du lundi 14 octobre
Avocat avant d'être cinéaste, porté sur la littérature et la poésie, André Cayatte est l'artisan sincère et non-conformiste d’un cinéma passionné, vindicatif, en lutte contre la censure et la bonne société d’Après-guerre. À contre-courant de la critique, il s’attaque à l’injustice et à divers problèmes de société, avec un indéfectible "courage social", ainsi que l’écrit André Bazin
Tavernier nous explique pourquoi l’œuvre d’André Cayatte (1909-1989), objet d’une grande rétrospective au festival Lumière 2019, mérite d’être redécouverte.
« On a dit de Cayatte que c’était un cinéaste à thèse. Mais est-ce une thèse d’être contre la peine de mort ? Ou est-ce que c’est un constat ? Une conviction ? Le mot thèse peut s’appliquer à une ou deux scènes à l’intérieur de ses films, et peut-être plus globalement à Justice est faite (1950) : Cayatte s’y interroge sur la difficulté de juger, mais il n’occulte pas son propre doute, il n’est sûr de rien.
Dans Avant le déluge , il montre une jeunesse inquiète de la Guerre Froide, encore une admirable inscription dans l’époque, la grande force de son cinéma. Et oui, ces jeunes sont capables de voler ou tuer. Mais Avant le déluge dit exactement la même chose que La Fureur de vivre : ce sont les parents qui ont créé ces enfants-là. Mais personne n’ose dire que Nicholas Ray fait des films à thèse ! Dans Avant le déluge on peut pinailler sur une construction un peu surlignée, c’est le péché mignon de Cayatte : par exemple l’usage du flash-back.
Mais le personnage joué par Antoine Balpêtré, un ancien musicien de l’Opéra de Paris, inquiété par l’épuration, n’a aucun équivalent dans le cinéma français de l’époque ; l’antisémitisme qu’il incarne, aucun cinéaste n’ose l’aborder, même les cinéastes qui se disent engagés, comme Autant-Lara. Tous les personnages sont incroyables, et le contexte du meurtre avec un côté homosexuel qui est plus franc que celui de La Corde. Tout est abordé de front. D’ailleurs, Avant le déluge est un film qui a été très emmerdé par la censure. Une censure très opérante à l’époque, qui pouvait bloquer des films.
Un des meilleurs personnages du film, c’est celui de Bernard Blier : un type plein de formidables intentions, mais qui ne voit absolument pas ce qui se passe autour de lui. C’est un militant socialiste et on a l’impression que c’est un symbole de ce que deviendra le parti socialiste ! »
Propos recueillis par Aurélien Ferenczi
Frances McDormand
Cliquez sur la photo
Journal du mardi 15 octobre interview
Les débuts
« Quand j'ai commencé à tourner dans Blood Simple, je ne savais pas ce que c'était que d'être actrice. Je venais de l'école du théâtre, donc je surjouais beaucoup. Ce film a été pour moi comme une école de cinéma. Ensuite, au travers de Mississippi Burning, j'ai appris à développer d'autres facettes de mon jeu et à utiliser mon corps de manière plus subtile.
Les Frères Coen
« Ils ont deux cerveaux qu'ils fusionnent en un seul lorsqu'ils travaillent ensemble. Depuis leurs débuts, il y a 35 ans, ils ont mis en place une sorte de chorégraphie, de danse qu'ils connaissent par cœur et savent exécuter à la perfection pour chaque étape de la réalisation, sans même avoir à se parler. Ethan, c'est le littéraire et Joel, c'est le visuel. Il est impossible de les séparer, croyez-moi ! ».
Cliquez sur l'image
Fargo
« Je vois ce film comme un vrai film de famille. Avec Joel, nous attendions l'arrivée d'un enfant que nous étions en train d'adopter au moment où nous tournions les dernières scènes. Dans le film, Marge Gunderson, la policière enceinte que j'interprète et Norm, son mari, sont sur le point d'accueillir un enfant. « Encore deux mois », lui dit-il, alors qu'ils sont allongés sur leur lit devant la télévision. Eh bien, comme dans le film, deux mois plus tard, Joel et moi avons appris la confirmation de l'adoption. Joel m'a donné des rôles sublimes, mais le plus beau a été celui de maman. »
La place des femmes
« Les femmes n'ont pas le droit à l'erreur. En général, leur carrière est terminée si elles échouent une fois, ce qui n'est pas le cas des hommes. La situation est la même pour les personnes de couleur ou les minorités. Il faut désormais que les gens qui ont le pouvoir de décider nous donnent le droit à l'erreur. Et si on changeait les choses ? Malheureusement, je ne fais pas de politique, je suis seulement actrice ».
— Propos recueillis par Benoit Pavan
Ajouter un commentaire