Le pangolin
chroniques de la haine ordinaire spectacle de 1986
Réhabilitons le Pangolin injustement accusé en 2019 d'être à l'origine de la pandémie de Covid 19.
Tiré de son spectacle au théâtre Grévin en 1986, Chroniques de la haine ordinaire, Pierre Desproges avec sa chronique sur le pangolin, nous montre ici son talent en dépassant l’absurde corrosif de cet humour qui n’appartient qu’à lui et son incroyable maîtrise de la langue française et de ses figures de style. À cette époque, le pangolin n'était pas encore une espèce en voie d'extinction, car même protégé, il est victime des trafiquants qui le pourchassent et le tuent pour ses écailles. Voici l'admirable texte qu'il écrivit sur cet animal
- Je voudrais présenter ici mes excuses au pangolin qui est un mammifère édenté d’Afrique et d’Asie ; c’est une bête éminemment pacifique. De ma vie, je n’ai jamais eu à me plaindre d’un pangolin. Pourtant, dans un petit livre que j’ai publié il y a plus d’un an et dont je vous prie d’éviter la lecture, je m’étais permis de porter un jugement sans doute blessant et péjoratif, visant à discréditer l’image publique de ce paisible quadrupède, comme ça, pour faire sourire et vendre du papier.
Par la suite, repris par le tourbillon de la vie, mon travail, mes amours, ma santé préoccupante puisqu’à 46 ans passés, je n’ai toujours pas de cancer, j’avais fini par oublier le pangolin. Or mercredi dernier, l’un des prétendants de ma fille est entré furibard dans mon bureau le livre en question à la main.
– Dis t’es vraiment salaud, toi, avec les pangolins !
Après lui avoir fait remarquer que ce n’était pas là le ton convenable pour s’attirer les grâces d’un beau-père potentiel, je fini par lui demander de poursuivre.
– Pauvre pangolin regarde ce que tas écrit ! Et en effet à la relecture, je ressentis comme une méchante intention dans la description physique et morale que j’avais brossé sur le pangolin
– Tu sais c’était pour de rire.
– Ouais, mais n’empêche que ça peut faire de la peine. Tu serais un pangolin, ça m’étonnerait que ça te fasse rire. Il lut :
Le pangolin mesure environ un mètre, sa femelle qui s’appelle la pangoline ne donne le jour qu’à un seul petit à la fois qui s’appelle Toto. Le pangolin ressemble à un artichaut à l’envers prolongé d’une queue à la vue de laquelle on se prend à penser que le ridicule ne tue plus.
– Je reconnais que j’ai tapé un peu fort, le mot ridicule est un peu dur, c’est ça qui gêne ? - Ah non, ça c’est rien, c’est Toto qui est blessant ; c’est complétement idiot pour un pangolin de s’appeler Toto !
– Et toi qu’est-ce que tu connais d’un pangolin ?
– Ben nous quand j’étais en vacances en Côte d’Ivoire, on avait un pangolin, et il est mort sous un camion.
– Ah bon, c’est ça, alors tu as eu de la peine et aujourd’hui tu n’aimes pas trop qu’on se moque d’un pangolin.
– Ben oui ! Pauvre Gérard. – Ah parce qu’il s’appelait Gérard ?
– Oui, dans tes conneries à la radio, le mercredi, tu devrais parler des pangolins pour que les enfants voient bien que ton livre c’était pour de rire.
– Alors bon, rectificatif :
Le pangolin, du malais pangoli signifie à peu près pangolin. C’est un mammifère édenté d’Afrique et d’Asie qui se nourrit de fourmis et de termites. Il mesure un mètre ; son corps est couvert d’écailles très, très belles. Il ne ressemble pas du tout à un artichaut. Sa queue s’arrête juste comme il faut, c’est formidable.
Quand il a faim, grâce à son flair, il repère une fourmilière. Avec son nez pointu et ses super griffes, il s’enfonce au milieu de la fourmilière et après, il entrouvre ses écailles, qui sont de la taille d’une petite feuille d’artichaut, mais très, très belles. À ce moment-là, le pangolin réfléchit très fort avec sa concentration et une petite goutte sucrée comme du miel se met à suinter sur chaque écaille. Et alors toutes les fourmis s’y collent et le pangolin sans rigoler referme toutes ses écailles. Il sort de la fourmilière, va dans un coin tranquille, rouvre ses écailles et se secoue très fort ; toutes les fourmis tombent et il les mange.
C’est une bête formidable sauf qu’elle traverse sans regarder et ça c’est dangereux ! La femelle du pangolin s’appelle la pangoline. Elle donne le jour à un seul petit à la fois qui s’appelle Gérard !
14 mai 2022
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