Fable subversive ?

Le Corbeau et le Renard

Critique de la fable selon Desproges

? huit ans, j’ai entendu de la bouche pincée d’un instituteur laïque et grisâtre, cette fable de Monsieur Jean de La Fontaine, aimable gigolo poudré qui éblouissait les mondains en piratant sans vergogne les fabliers d’Ésope.
Que reste-t-il de cette œuvrette animalière si ce n’est une vile tentative de dénigrer les laitages français en les ravalant au rang de triviales canigouteries pour prédateurs des bois.
Associer sciemment l’idée trois cent cinquante fois grandiose de nos fromages à l’imagerie dégradante des deux bestiaux les plus nuisibles de nos clairières, n’est-ce point la preuve flagrante des intentions subversives antinationales de La Fontaine ?

Car enfin, Dieu m’écartèle si possible sous anesthésie générale, qu’est-ce qu’un renard ? Qu’est-ce qu’un corbeau ? L’un hideux, pointu, bas sur pattes, grouillant de vermines et plus sournois qu’une fouine jésuitique sur un trône élyséen, partage son temps entre le génocide de nos volailles et la propagation de la rage. L’autre, d’un noir de diable insupportable aux âmes pures et qu’on voit par les champs dandiner sa silhouette arthritique de prélat en sabbat satanique, saccage nos récoltes, effarouche nos perdrix et nos épouvantails de son ricanement métallique de poule rouillée, et pousse le cynisme jusqu’à s’avérer immangeable après trois heures de court-bouillon.

? qui ferez-vous croire, Monsieur de La Fontaine, qu’un renard, charognard, bâfreur et plumivore, puisse tenter de séduire un corbeau pour s’emparer d’un camembert dont la moelleuse onctuosité normande ne saurait flatter le palais vulgaire de ce chien sans maître ?  
? qui feriez-vous croire qu’un oiseau de malheur, haï des hommes qui le lui rende bien, aille risquer sa vie dans les garde-manger pour y piller des coulants au reste trop mous pour se tenir dans son bec ? Et d’où tenez-vous, emperruqué ignare, que les corbeaux pique-niquent dans les arbres de nos campagnes ? Je dis, à la lumière de cette démonstration dont la lumineuse clarté en époustouflera plus d’un, que Jean de La Fontaine, sous couvert de fabuler, était en réalité un publicitaire subversif de l’anti-France à la solde de Madrid (à l’époque on ne subversifiait pas encore à Moscou, c’était trop loin). Aujourd’hui encore, nous devons nous méfier des poètes chevelus et de leurs opuscules post-surréalistes qui mettent en scène des rats attablés chez Fauchon ou des cochons tastevins.
Leurs fables sont essentiellement démobilisatrices.

06 février 2020

 

 

 

 

Dessin de Catherine Meurisse en 2014
pour l'ouvrage
Desproges
Encore des nouilles
chroniques culinaires
Ed. Les Echappés

Corbeau et renard