Accusé Georges-Jean Arnaud
Réquisitoire du 14 mai 1981
Décédé cette année à 91 ans Il était un écrivain prolifique avec 416 romans référencés et diversifiés, principalement : policiers, espionnage, érotique, ou science-fiction.
Pour ce qui me concerne, j’étais pendant mon adolescence un grand consommateur et amateur de romans policiers et d’espionnage ; j’avais suivi dans les années 1960 une partie de ses 75 romans d’espionnage qui avaient pour héros « Le Commander » et qu’il avait écrit, sous le pseudo GJ Arnaud, de 1961 à 1986.
Au moment du réquisitoire, il n’avait pas encore commencé « La compagnie des glaces », une série de romans de science-fiction qui lui valut la célébrité. Il avait écrit sous (pas moins) seize pseudonymes.
Précisons aussi que le 14 mai 1981, François Mitterrand venait de gagner les élections présidentielles
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Françaises, Français,
Camarades, camarades,
Belges, Belges,
Lichtintaines et Lichtintins,
Zimbabouines, Zimbabouins,
Portoricaines, Portoricains,
Porto minable,
Porto rouge, porto blancs, porta droite, porta gauche ?
Cher Georges-Jean (vous ne pouvez pas vous appeler François comme tout le monde ?),
Mesdames et messieurs les jurés,
Public chéri, mon amour.
Je ne suis pas venu ici, aujourd’hui, là, maintenant, tout de suite, présentement, nonobstant la conjoncture et le temps qui m’est imparti pour parler de Georges-Jean Arnaud. Le destin de Georges-Jean Arnaud m’indiffère autant que les ébats sexuels de Marguerite Duras dans les semi-remorques à Rungis.
Et d’abord, qui connaît Georges-Jean Arnaud en dehors de ses trois millions de lecteurs ? Personne, absolument personne et je n’exagère pas. Et c’est quoi ce prénom, vous devriez vraiment vous appeler François. C'est un illustre inconnu, j’en veux pour preuve que je me trouvais l’autre jour dans la salle des archives littéraires de la seconde moitié du XVIe siècle de la Bibliothèque nationale de Paris.
Qui vois-je absorbé dans la lecture de la première édition des Essais de Montaigne (celle de 1580, évidemment) ? Poulidor !
« Salut Poupou ! Lui fis-je. Ôte-moi d’un doute. Connais-tu Georges-Jean Arnaud ? Non mais j’espère faire mieux la prochaine fois », répondit Poupou.
Donc personne ne sait qui est Georges-Jean Arnaud, raison de plus pour lui couper la tête que personne n’ira réclamer. D’ailleurs, personne n’est irremplaçable, même Giscard, même Mitterrand (vivement l’alternance !).
Abordons plutôt ensemble, mesdames et messieurs les jurés, et vous aussi, chers camarades, un sujet plus important, plus actuel et plus tangible. Bien que je regrette que nos millions d’auditeurs ne puissent le constater eux-aussi. Comme vous le voyez, dis-je, je me suis fait couper les cheveux.
Ne souriez pas monsieur Villers. Je connais votre égoïsme. Vos petits problèmes personnels, votre loto, votre tiercé, ça oui, ça vous intéresse. Mais que je me suis fait couper les cheveux ou pas, vous vous en foutez !
Si j’en parle, c’est parce que cette coupe de cheveux s’est déroulée dans un contexte tout à fait inhabituel, pour ne pas dire exceptionnel. C’est à peine croyable, mon nouveau coiffeur, m’a coupé les cheveux sans me parler ! Et comme le disait Saint-Exupéry qui avait oublié d’être con :
« Couper les cheveux sans causer, aucun coiffeur au monde ne l’aurait fait. »
Merci à toi gentil capilliculteur de ne pas m’avoir fait part de ton analyse des résultats de l’élection présidentielle ! Merci de ne pas m’avoir communiqué ta crainte d’une recrudescence de la délinquance juvénile en milieu urbain ! Merci de ne pas m’avoir contraint à débattre avec toi de l’opportunité de remplacer les travailleurs maghrébins par des fainéants français derrière les bennes à ordures citadines ! Merci de ne pas m’avoir contraint à évaluer le pourcentage d’étrangers dans les hôpitaux de l’Assistance publique ! Merci de ne pas avoir servi de réceptacle à tes états d’âme capillicoles, du latin capilaris, le cheveu et de licol qui vient de l’arabe licol, l’ossature. Exemple li col du fémur. Oui je parle couramment l’arabe littéraire.
La seule corporation qui puisse tenir tête aux coiffeurs sur le plan de l’incontinence verbale, c’est celle des taxis qui sont de deux sortes : les racistes et les bougnoules. J’étends effectivement ce terme de racistes à toutes les formes de rejet de l’autre, pouvant être le juif, l’homosexuel, le chevelu, le Noir, le jeune, le vieux et bien sûr la femme.
Pour cette dernière, je ne résiste pas au plaisir de vous narrer, ce que nous vécûmes, Luis Rego et moi en taxi.
Le chauffeur était une forte femme bien proprette d’une quarantaine d’années.
Place de la Concorde, une petite fiat, pilotée par une jolie bourgeoise, (a-t-on le droit de dire qu’une bourgeoise soit jolie sous Mitterrand ?) un peu distraite nous fit une toute petite queue de tout petit poisson.
Aussitôt, notre conductrice entra dans une colère apocalyptique, et tout en poursuivant la fautive dans l’espoir vain de la faire chuter dans la Seine, elle nous fit juges, Luis et moi de sa désapprobation catégorique, baissant violement sa vitre afin que la coupable n’en perde pas une miette.
« Va donc, eh connasse, dit cette dame. Non mais vous avez vu cette connasse ! Ça va pas la tête, eh connasse ! Ah, dis don’, a s’croyent tout permis ces connasses avec leur MLF ! Non, mais c’est pas des conneries, depuis qu’elles sont libérées, elles ont perdu leur féminité ces connasses ! »
Et la dame conclut comme pour nous achever : « Et je sais de quoi je cause, ça fait quinze ans que je vis avec une bonne femme. »
Donc pour Georges-Jean Arnaud, je pense que ce serait une bonne idée de lui couper la tête. C’est peut-être un peu hâtif comme jugement, mais excusez-moi en ce moment, je n’ai plus goût à rien. Ce n’est pas tant l’avènement de François Mitterrand qui me pèse au cœur, c’est la démission du général de Boissieu !
Nota benêt : Georges-Jean Arnaud : demandez aux gens dans la rue s’ils connaissent Georges-Jean Arnaud. Personne ne vous dira que c’est l’auteur du Salaire de la peur. D’ailleurs, ce n’est pas lui.
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