Accusé Georges Guétary

Réquisitoire du 10 avril 1981

Georges Guétary  en 1980Georges Guétary (de son vrai nom Lámbros Vorlóou) est né le 8 février 1915 à Alexandrie. Il arrive en France avec son oncle au début des années trente pour suivre des cours de commerce international, mais dès 1936 il se lance dans la chanson.
Chanteur d'opérette et comédien grec, naturalisé français au début des années 1950, Il emprunte son nom de scène à Guéthary, commune française du Pays Basque.


Au moment du réquisitoire, il venait de triompher une fois de plus, avec l'opérette de Francis Lopez "Aventures à Monte-Carlo".
Comme il avait un grand sens de l'humour et de l'autodérision, il a aimé ce réquisitoire de Pierre Desproges. 

Il décèdera le 13 septembre 1997 à Mougins.

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Françaises, Français,
Belges, belges,
Monsieur le Président,
Troublante et pulpeuse soprane du barreau,
Monsieur le jovial roucouleur pyrénéen,
Mesdames et messieurs les jurés,
Public chéri, mon amour.

Que la cour en son infinie bonté, veuille bien me pardonner ma plume, de plomb, et ma gueule de bois. Vous avez devant-vous, mesdames et messieurs les jurés, un homme en plein lendemain qui déchante.
J’étais hier soir l’invité d’honneur d’une folle soirée dansante, certes, mais surtout buvante, qui se déroulait dans les locaux de la police judiciaire, salle des Innocents perdus, c’est une salle immense. C’était le premier festival annuel de la bavure.
Qu’est-ce qu’on a rigolé ! Le ministre de l’Intérieur en personne était là. C’est lui qui a remis « le bavoir d’or » à l’inspecteur Bonniche, celui-là même qui arrêta Pierrot-le-Mou chez Régine et Pierrot-le-Dur chez Rachel Welch.
À lui seul, l’inspecteur Bonniche a réussi à tuer cette année six enfants et deux chats lors de l’arrestation manquée de l’assassin de la pleine lune, recherché depuis six mois par toutes les polices pour le double meurte de la chèvre de monsieur Seguin. D’accord, il n’y a qu’une seule chèvre, mais c’est bien la preuve que j’ai la gueule de bois.
Les plus grands noms de la police étaient là. L’inspecteur Bing de la brigade anti-bang, le commissaire Boum, de la brigade anti-gong, l’inspecteur Edmond Cu, c’est du poulet, sans oublier l’ex-commissaire Bourrel qui va sur ses 103 ans sans lâcher sa pipe ni sa foi dans le métier puisqu’il est toujours sur la piste de Jacques Mesrine.
À l’issue du banquet, le commissaire Froussard a fustigé les détracteurs de la police, insistant sur le droit de la police à la bavure ; il conclut sous les vivats : « 
On nous dit : Mort aux vaches, mais quand les vaches ont la fièvre aphteuse on ne leur reproche pas de baver. Vive la bavure ! » Cérémonie touchante, donc, mais moins touchante que ces retrouvailles avec Luis Mariano. Excusez-moi, j’ai toujours confondu Guétary et Mariano.

Maurice Genevoix dans son livre Ma Sologne c’est pas de la merde, nous rappelle ses souvenirs :
« Georges Guétary, c’est toute mon enfance. Je me rappelle encore, dans la vieille cuisine aux murs noircis de fumée, grand-père bourrait sa pipe de bruyère au coin de l’âtre. Sur la toile cirée usée jusqu’à la trame, grand-mère avait posé le seau de fonte où moussait encore le lait de Normandie de la Noiraude. C’était l’heure douce et crépusculaire où, dans chaque ferme, les paysans bourrus et grumeleux s’apprêtaient à confectionner la spécialité solognote, la plus recherchée des fins gourmets, j’ai nommé le yaourt bulgare. « Oh, le père, c’est l’heure du yaourt » disait ma grand-mère.
Alors grand-père se levait, essuyait ses doigts noueux sur le pantalon de velours sombre qui en avait tant vu, sortait les petits pots de grès de l’armoire de chêne, les disposait sur la table, les remplissait du bon lait de la Noiraude et tournait la manivelle du vieux gramophone sur la commode : alors la voix de Georges Guétary s’élevait vers Dieu comme un gargouillis pathétique de sanitaire libéré.
Aussitôt, Pataud notre vieux chien rhumatisant, se jetait par la fenêtre en hurlant, tandis que notre chat Fifi plongeait dans le feu plutôt que d’entendre la suite. Seule grand-mère restait impassible. Elle s’était défoncé les tympans avec une aiguille à tricoter, la première fois où elle avait entendu La Route fleurie.  

Avant même le premier refrain, les yaourts s’étaient faits tous seuls ! Il ne restait plus qu’à boucher les pots et recoller les papiers peints. »

Et l’auteur de Raboliot, qui grâce à Jacques Chancel est devenu peu avant sa mort presqu’aussi connu que Maître Capello, conclut sur cette note optimiste : 
« 
Quand on a entendu, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie, la voix de Georges Guétary s’élever au-dessus des brumes de la plaine solognote, on comprend pourquoi les Russes, n’ont jamais osé envahir la Sologne ! »

Merci à toi, Georges Guétary, merci à toi le Zorba du glouglou, toi dont l’organe aux accents troublants, repris de bouche en bouche par des millions de boudins transis, a plus fait pour l’extinction de l’opérette en France que monsieur Latex pour l’extension de la capote outre-Manche.
Georges Guétary, mesdames et messieurs les jurés, a mérité votre clémence. J’en demande par avance pardon à votre avocate pulpeuse et troublante, à qui j’ôte le pain de la bouche, mais je le répète soyons cléments avec Georges Guétary pour deux raisons.
La première, c’est qu’en ce moment il ne dit rien. Comme le disait le général de Gaulle après avoir assisté à la millième du Chanteur de Mexico : 
« 
Un chanteur d’opérette qui ferme sa gueule ne peut pas tout à fait être mauvais. »
La deuxième raison c’est que Georges Guétary a exporté le génie musical de notre pays jusqu’en Yougoslavie, où, il reçut une chèvre du directeur de l’opéra pour sa prestation géniale dans Le Baron tzigane.
C'est le maréchal Tito en personne qui lui a remis cette chèvre, pour le remercier en outre d’avoir composé l’hymne national yougoslave, le célèbre Tito est partout (le Maréchal nous voilà des Yougoslaves).
Et Desproges se mit à chanter : « Tito Tito par-ci, Tito Tito par-là. »

Nota benêt : Georges Guétary – Notre dernier chanteur d’opérette. « Vraiment le dernier ? » Oui. « Ouf… »