Alphonse Allais
Avant Dac, Blanche, Desproges, Coluche ou Devos, Alphonse Allais fut un humoriste, conteur prolifique avec plus d’un millier de contes, journaliste, chroniqueur, facétieux inventeur de machines invraisemblables et de canulars il maniait l’absurde avec une dextérité, un don poétique et une imagination fertile où viennent s’abreuver clandestinement bon nombre de professionnels de la gaité actuels. Oublié pendant plus de 40 ans, cet adepte de l’humour noir et illogique fut reconnu par le surréaliste André Breton en 1940, et jean Cocteau le qualifia de « Prince des conteurs »
Allais fait partie des auteurs que mon professeur de français des années 65 et 66 (qui m’a ouvert aux merveilles de la littérature, à l’amour de l’écriture et me conduisit à un prix de Français en classe terminale) m’a fait connaître.
Le terrible drame de Rueil et Le petit conte à Sara sont sans doute ceux qui m’ont inspiré pour écrire de petites histoires à la chute imprévisible. Alphonse Allais est l’un de mes premiers maitres et il continue de me faire rêver.
Le terrible drame de Rueil
Les voyages forment la jeunesse : c'est une affaire entendue.
Pour moi, qui, sans être un vieillard décrépi, ne suis plus un bébé ingénu, suffisent les petits trajets. C'est ainsi que parfois je me rends à Bougival où Burn-Cottage, une charmante habitation de l'île, se trouve possédé par trois amis à moi, L'excellent André H..., le grouillant Georges B... et le talentueux Jules P..., plus connu sous son pseudonyme de M...x.
Au cours d'un de mes derniers voyages, il m'advint une de ses aventures dont le temps n'est pas près d'abolir en moi la souvenance, employât-il sa faux en guise de grattoir.
On n'était plus qu'à quelques hectomètres environ de la gare de Rueil. Déjà notre railway ralentissait sa marche. Tout à coup un cri d'effroi retentit, poussé par une dame qui se trouvait à la portière de droite.
" Quoi ? Qu'y a-t-il ? fimes-nous angoissés.
" Là ! faisait la dame, là ! "

Horreur des horreurs! Dans un petit jardin contigu à la voie, un homme jeune encore était pendu à un arbre fruitier. Jonchant le sol, tout près, une dame en costume d'amazone, un revolver au poing, venait de se tuer, probablement pour ne pas survivre au monsieur pendu.
À deux pas, sur le gazon, une femme entièrement nue, le ventre ouvert, les intestins au soleil, les yeux démesurément agrandis par la terreur suprême, gisait... Quel drame terrible venait-il de se passer ?
Nous étreignons nos crânes, prêts à voler en éclats.
Au milieu de tout ce carnage, un homme d'allure bestiale et de quiétude parfaite, se promenait, tirant de sa pipe en écume d'épaisses volutes qu'il envoyait vers le ciel impassible. Enfin le train s'arrêta. Fébrilement, je sautais à terre et m'encourus vers la maison sinistre, une coquette demeure en briques que j'avais bien remarquée. Je tirai un coup de sonnette où je mis toute mon énergie.
Une petite bonne vint m'ouvrir : une petite bonne rousse dont le nez retroussé indiquait une rare effronterie.
" Mademoiselle haletai-je, il vient de se passer, dans votre jardin, des choses effroyables.
" Quoi donc ? "
" Un monsieur est pendu à un arbre."
" Oui, je sais. "
" Une dame vient de se tirer un coup de revolver dans la tempe. "
" Oui, je sais.
" Une femme nue a le ventre ouvert.
" Oui, je sais. "
Tant de calme chez cette jeune créature rousse m'affolait.
" Mais, mademoiselle, repris-je, il faut y aller... tout de suite ! "
" Ca n'est pas pressé... On les rentrera ce soir... parce qu'il pourrait pleuvoir dans la nuit. "
J'eus le temps d'étreindre mon crâne toujours prêt à voler en éclat, et puis, j'eus la clé du mystère.
Le propriétaire de la maison est un ancien forain qui gagna des sommes considérables à montrer les crimes célèbres figurés en cire.
En se retirant des affaires, il n'eut point le courage de se séparer de ses sujets. Seulement, des fois, pour éviter la moisissure, il les mets à l'air.
La petite fille, les oiseaux et le chat
Petit conte à Sara
Il y avait une fois une petite fille qui s’en allait promener sa poupée, et voilà qu’elle fait la rencontre de deux oiseaux très gentils.
Elle leur fit une petite révérence et leur dit :
« Bonjour, petits oiseaux !... Voulez-vous jouer avec moi ?... J’ai de belles dragées dans mon sac, je vous en donnerai. »
L’un des petits oiseaux dit : « Moi j’en veux bien ! » et l’autre dit : »Moi aussi ! » et l’on s’amusa beaucoup presque jusqu’au soir.
Alors les petits oiseaux dirent : « Nous voulons nous en aller maintenant. »
Or avec la nuit qui venait, vint aussi une vilaine pensée à la petite fille ; elle dit aux deux petits oiseaux :
"J’ai encore des dragées tout au fond de mon petit sac ; si vous voulez, venez les prendre. "
Ils allèrent bien vite et, crac ! La petite fille serra les cordons, les petits oiseaux sont pris. Ils ont beau crier, crier : la petite fille les emporte.
Ce soir-là il y avait justement un gros chat qui rôdait dans les environs. Il vint tout courant en entendant crier les petits oiseaux. Quand la petite fille l’aperçut, elle lui fit sa plus belle révérence, celle que son grand cousin lui avait apprise et elle lui dit : « Bonjour, monsieur le chat ! »
Le chat ne dit rien du tout. Et la petite fille prit peur de voir cette grosse bête qui s’avançait avec de si gros yeux et une si grande bouche, elle prit peur et se mit à pleurer.
Le chat s’en moquait bien. Il l’avala d’une bouchée (c’était joliment bien fait pour elle) et s’en alla très content en se léchant les babines, tandis que les petits oiseaux auxquels il n’avait pris garde partaient bien vite de leur côté ; et voilà tout.
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