Les jeunes sorcières

Histoires de sorcières dans les veillées villageoises

Les sorcières ont toujours fait trembler ou fantasmer les gens. Aux XIXe et dans la première moitié du XXe siècle pendant les veillées, il était naturel qu’elles figurent en bonne place dans les récits des conteurs de villages. Il s'agissait aussi d'interpeller les enfants pour qu'ils ne s'attardent pas et rentrent avant la nuit tombée. Toutes les histoires n’étaient pas terrifiantes, il y en avait des rigolotes comme celle qui suit.

Dans les autrefois, à ce qu’on sait, des jeunes filles du village d’Espinosa, insolentes et moqueuses, avaient l’habitude, les soirs où la nuit tombait de bonne heure de s’amuser aux dépens de personnes seules rentrant au foyer.
Pour se faire, elles s’enveloppaient de vieux vêtements sombres, se couvraient de grandes perruques noires et se masquaient le visage avec des mantilles noires. Comme il se doit, elles s’armaient de balais en paille de riz avec de gros manches ; ainsi vêtues, au premier abord, leur aspect impressionnait terriblement les craintifs et les ignorants.
D’habitude, elles se postaient derrière un mur de clôture en ruine, au bord de la route d’entrée au village et lorsque le marcheur s’y attendait le moins, il se voyait entourer par ces figures grotesques et épouvantables qui le poursuivait sans répit en psalmodiant : «  Ouhhh ! Ouhhh ! »
Les victimes, généralement, partaient en courant et dans les éclats de rires, les mauvaises pouvaient faire la fête. Si l’arrivant résistait et ne se mettait pas à fuir, les six moqueuses l’entreprenaient à coups de balais jusqu’à ce que le récalcitrant se mette enfin à courir.
À cette époque, les histoires de diables et de sorcières étaient bien ancrées dans les mémoires.

Une sorcièreMais il advint, qu’un soir où les filles décidèrent de s’amuser à leur jeu habituel, la victime potentielle était une jeune femme de bonne stature  et qui marchait d’un pas décidé. Elle ne se laissa ni surprendre, ni inquiéter par les cris des supposées sorcières.
Les filles la poursuivirent à faible distance toujours en vociférant sans que la jeune femme n’arrête de continuer son chemin ; elle restait imperturbable.
Énervée par cette attitude et levant son balai contre l’inconnue, une fille plus insolente que les autres cria :
«
Eh, toi ! Nous sommes des sorcières ! »
L’inconnue s’arrêta d’un coup, se retourna sans se troubler le moins du monde, les regarda avec attention l’une après l’autre.
Les jeunes filles stoppèrent, pressentant un danger. Enfin à l’étonnement et à la frayeur des fausses sorcières, la femme s’éleva du sol de plus de deux mètres, comme si elle était une plume légère et s’écria avec puissance, d’une voix incroyable :
« 
Moi aussi je suis une sorcière ! Et alors ? »
On raconte que les filles jetèrent leurs balais dans l’instant et on dit qu'aujourd’hui, elles courent encore et encore…

14 avril 2022