Violet Jessop

Née sous une bonne étoile

Violet Constance Jessop (2 octobre 1887 - 5 mai 1971), son histoire est celle d’une femme ordinaire bouleversée par les événements. « Je n’aimais pas les gros bateaux… J’étais secrètement très effrayée » avoue Violet Jessop dans ses Mémoires.
Qu’est-ce-qui pousse alors cette jeune fille de vingt-et-un ans sur les ponts des plus gros paquebots de l’Atlantique ? Le manque d’argent, d’abord : fille d’immigrés irlandais pauvres, aînée de neuf enfants, elle devient le soutien de famille à la mort de son père. Bien malgré elle, elle suit l’exemple maternel et s’engage dans la marine touristique en tant qu’hôtesse de bord. Elle ne le sait pas encore, mais elle s’apprête à consacrer quarante-deux années de sa vie à l’océan, soit plus de deux cents voyages.  

Après plusieurs expériences plus ou moins heureuses, soumise à l’irascibilité des capitaines, Violet Jessop est engagée sur le luxueux Olympic en 1911. C’est le fleuron de la compagnie britannique  la White Star Line avec ses prototypes bourrés de confort et d’équipement dernier cri. Hélas, le 20 septembre 1911, quelques minutes après avoir levé l’ancre, le bateau percute un navire de guerre britannique, le HMS Hawke… Malgré les dommages sévères, l’Olympic fait son retour au port de Southampton sans déplorer la moindre perte. Dans cette traversée écourtée précocement, Violet a tout de même eu le temps de recevoir (et de refuser poliment) une demande en mariage de la part d’un des passagers.

Elle n’envisage pas de quitter le métier à cause de cet incident. Une opportunité d’emploi vient lui redonner du baume au cœur, au service d’un navire-jumeau de la White Star Line que la presse encense. « Dieu lui-même ne pourrait le couler » affirme, confiant, un membre d’équipage au journaliste qui l’interroge… C’est donc investi d’une grande confiance que l’équipage du Titanic lève l’ancre le 10 avril 1912. La « merveille des merveilles » a mille bouteilles de champagne en cale, et les passagers de première classe se régalent, alternant les bains turcs et le café à la parisienne.
Dans la nuit du 14 au 15 avril, le navire percute un iceberg à la dérive. Les dommages se révèlent irréversibles. Violet Jessop, à demi-endormie dans sa cabine, est réveillée en sursaut : 
«
J’ai été appelée sur le pont. Calmement, les passagers déambulaient autour de moi. je me tenais près des compartiments avec les autres hôtesses, observant les femmes s’accrochant à leurs maris avant d’être réparties dans les canots avec leurs enfants. Un officier nous ordonna de monter en premier dans un des canots pour montrer aux autres femmes qu’ils étaient sûrs. » 
Violet Jessop est installée à bord d’un canot de sauvetage puis descendue sur le miroir d’eau noire. Elle passe les huit heures qui s’ensuivent sur le canot de sauvetage, regardant « l’insubmersible » s’enfoncer dans les eaux glaciales de l’Atlantique. Le lendemain matin, elle est secourue, ainsi que 704 passagers et membres d’équipage, par le navire Carpathia dérouté pour l’occasion. La tragédie fait aussitôt les gros titres : plus de 1500 personnes ont succombé à l’accident, soit deux personnes sur trois embarquées au départ du Titanic. 

Violet JessopViolet Jessop va alors changer son fusil d’épaule lorsque la guerre semble inévitable : recevant une formation-éclair d’infirmière au sein des régiments volontaires de la Croix Rouge, elle rejoint l’équipage d’un autre navire de la White Star Line, le Britannic, réquisitionné et converti en navire-hôpital. Nous sommes en novembre 1916 à quelques milles au large de l’île grecque de Kéa, le Britannic cingle tranquillement sans un seul patient sur les eaux de la Mer Egée. Soudain, une explosion ébranle le navire. Le Britannic a heurté une mine sous-marine ! L’évacuation est ordonnée immédiatement tandis que les membres d’équipage sautent à l’eau.
La vie de Violet est sur le fil du rasoir : «
happée sous la quille du bateau », se souvient-elle, l’infirmière souffre d’un traumatisme crânien et croit perdre connaissance, mais elle finit par être hissée sur un canot de sauvetage. La blouse détrempée, les cheveux châtains noyant son visage, elle assiste aux dernières minutes avant que le paquebot se transforme en épave. Elle écrira : « La tête du bateau bascula, petit à petit, vers le fond. la machinerie du pont s’écroula dans la mer comme un jouet d’enfant. Puis le navire s’engagea dans un plongeon abyssal, la poupe s’élevant à plusieurs centaines de mètres dans les airs puis, dans un dernier rugissement, il disparut dans les profondeurs, accompagné d’un écho résonnant à travers l’eau avec une violence incomparable. » 

Violet a embarqué sur chacun des paquebots de la White Star Line le jour de leur accident, ce qui pour deux d’entre eux s’est conclu par un aller simple vers les abysses. Le Britannic n’a toutefois pas coûté autant de vies que son « jumeau », faisant trente victimes sur les 1065 passagers à bord. Désormais, l’infirmière se résout-elle à entamer une nouvelle carrière sur le plancher des vaches ? Toujours pas : enfin rétablie, Violet Jessop s’engage de nouveau chez la White Star Line, puis change d’employeur au fil de l’eau. Elle passe les trois décennies suivantes sur l’océan, et aucun incident majeur n’est à déplorer. Ce qui ne lui empêche pas de recevoir un surnom passé à la postérité : Miss Unsinkable : « Mademoiselle Insubmersible ».

Finalement retraitée en 1950, Violet Jessop termine sa vie de vieille louve de mer dans le Suffolk, en Angleterre. Son histoire est un appel à la persévérance et à l’engagement, qui montre que l’on peut enchaîner les mésaventures sans se résoudre à jeter l’éponge (ou l’ancre) pour autant. Certains disent qu’elle joua de malchance pour faire l’expérience d’événements si traumatisants dès ses débuts sur l’eau ; d’autres affirment que s’en sortir vivante trois fois de suite, c’est un sacré coup de chance.

14 juin 2021