Marguerite Steinheil

Une demi-mondaine et salonnière mythomane

Nous connaissons cet échange supposé entre le majordome de Félix Faure et le prêtre appelé à l’Élysée en catastrophe pour administrer les derniers sacrements :
« Le président a-t-il encore sa connaissance ? — Non, monsieur l’abbé, elle est sortie par l'escalier de service.»
Même si l’anecdote fut inventée, elle aurait fait de nos jours, les choux gras des réseaux sociaux.
Marguerite Steinheil jeunePar cette froide soirée d’hiver, la connaissance en question est une femme belle et plantureuse d’à peine 30 ans. Il s’agit de Marguerite Steinheil célèbre salonnière et demi-mondaine. Née à Belfort le 16 avril 1869 d'une riche famille industrielle, les Japy, elle étudie le piano et le violon et suit l'éducation soignée d'une jeune fille de la très bonne bourgeoisie provinciale. Âgée de vingt ans, elle fait un mariage de raison avec Adolphe Steinheil, peintre parisien qui l’introduit dans les cercles mondains.
Elle comme lui mènent librement leur vie sentimentale.

Son salon est fréquenté par la bonne société : Gounod, Lesseps, Massenet, Coppée, Zola, Loti font partie de ses invités.
En monnayant ses charmes, elle rapporte au foyer plus d’argent que son mari vendant ses toiles.
On compte parmi ses conquêtes, un grand-duc russe, Aristide Briand et le président Felix Faure dont elle devient quelque temps la maîtresse.

Mais le 16 février 1899, ce dernier meurt dans ses bras, ou, pour être plus précis, dans son lit victime des plaisirs vénusiens et du produit dopant, le quinquina qu’il a absorbé. Officiellement, sa mort est due à une hémorragie cérébrale, une « attaque » comme on dit alors. Bien que les services de l’Élysée tentent de dissimuler que cet accident vasculaire cérébral est survenu lors d'une fellation, les circonstances exactes de la mort sont vite connues des gens « bien informés ».
Un journal parisien titre « Félix Faure a trop sacrifié à Vénus ». Quant aux beaux esprits, ils y vont tous de leurs jeux de mots pour brocarder cet évènement peu commun. On attribue aussi un autre mot d'esprit à Clemenceau : « Il se voulait César, mais ne fut que Pompée ». Les circonstances de la mort de Félix Faure valent à sa maîtresse le sobriquet de « la pompe funèbre ». Des esprits chagrins antisémites chercheront d’autres raisons à ce décès puisqu’Emile Loubet successeur de Felix Faure va gracier le capitaine Dreyfus dans l’année.

Steinheil en cours d assiseTout va se tasser jusqu’au 31 mai 1809 où, dans leur maison de l’impasse Ronsin, l’un des domestiques du couple Steinheil découvre les corps sans vie de madame Japy, la mère de Marguerite et de monsieur Steinheil. Marguerite Steinheil, ligotée, raconte aux enquêteurs que trois personnes armées sont entrées chez elle pendant la nuit pour lui dérober sa fortune. Mais rapidement, les enquêteurs réalisent que les accusations de Marguerite Steinheil ne coïncident pas avec les faits. Le 4 novembre 1908, Marguerite Steinheil est arrêtée et incarcérée à la prison Saint-Lazare. La presse surnomme la prévenue, « la veuve rouge ».
Le procès s’ouvre le 3 novembre 1909, à la cour d’assises de Paris. Marguerite offre un spectacle haut en couleur : lorsqu’on lui pose une question à laquelle elle ne peut répondre, elle se met aussitôt à pleurer et va jusqu’à s’évanouir. L’opposition antidreyfusarde l’accuse également d’avoir empoisonné 10 ans plus tôt, pour le compte du syndicat juif, le président Félix Faure. L’affaire devient éminemment politique.
On parle de Marguerite Steinheil dans les plus hautes sphères de l’Etat. C’est un véritable procès d’anthologie dont parle toute la société française. Le 14 novembre 1909, la plaidoirie de la défense dure 7 heures d’affilée. Après une délibération de 2 heures 30, les jurés, craignant une sentence trop sévère, répondent « non ». Elle est donc acquittée, mais la controverse ne s’arrête pas pour autant.

En France, personne n’est convaincu de son innocence et après le procès, elle part vivre à Londres sous le nom de Mme de Serignac. Elle rédige ses mémoires en 1912. Un écrivain anglais publie une enquête dans laquelle il l’accuse du double meurtre. Grâce à ses relations, elle parvient à faire retirer le livre des ventes.
Le 26 juin 1917, elle épouse Lord Robert Brooke Campbell Scarlett, 6e baron Abinger et devient Lady Abinger. Son mari meurt en 1927.
Ses déboires avec la justice tombent peu à peu dans l’oubli. Elle termine sa vie en lady et baronne fortunée, loin des tribunaux.
Marguerite Steinheil meurt en 1954 dans une maison de repos de Hove, dans le comté du Sussex, à l’âge de 85 ans.

08 septembre 2021