La pêche Melba
La naissance d'un plat est souvent entourée de légendes, mais il arrive parfois que nous en connaissions le contexte créatif, lorsque le cuisinier raconte lui-même son invention. C'est le cas d'Auguste Escoffier (1846-1935) et de sa pêche Melba dans ses « Souvenirs culinaires ».
Escoffier fut un ambassadeur de la cuisine française de dimension internationale après sa rencontre avec César Ritz au début des années 1880, contribuant au succès de l'hôtellerie de luxe européenne. En 1890, ils prennent ainsi en main le Savoy Hotel de Londres ; le restaurant devint le rendez-vous du monde élégant :
« On y rencontrait chaque soir les plus grands personnages de l'aristocratie anglaise et étrangère, les hauts princes de la finance, les célébrités appartenant au monde des arts », dont la cantatrice australienne Nellie Melba (1861-1931).
La soprano descend au Savoy Hotel en 1893 alors qu'elle chantait à Covent Garden, non loin de là. C'est le lendemain d'une représentation de Lohengrin de Richard Wagner, à laquelle il assista, que le chef décida de la remercier pour « cette soirée passée sous l'envoûtement de sa voix prodigieuse, servie par un réel talent d'actrice », en lui dédiant un dessert. Au cours du dîner que la diva donnait à quelques amis, des pêches furent ainsi présentées « sur un lit de glace à la vanille, dans une terrine d'argent incrustée, entre les ailes d'un superbe cygne taillé dans un bloc de glace, puis recouvert d'un voile de sucre filé » ; le cygne faisant ici référence à celui qui apparaît dans Lohengrin.
Dans ses Mémoires (1925), Nellie Melba raconte une autre histoire.
Au printemps 1893, Elle déjeunait à l'étage de l'hôtel Savoy, lorsqu'à la fin du repas un petit plat en argent lui fut présenté. Il était accompagné d'un message d'Auguste Escoffier, qui lui expliquait qu'il avait préparé cette gourmandise spécialement pour elle. C'était délicieux. Elle fit donc demander au chef le nom de cette préparation. Elle n'en avait pas, mais il lui suggéra de l'appeler pêche Melba, ce qu'elle accepta : « Et tout comme Ève a goûté la première pomme, j'ai goûté la première pêche Melba du monde », écrit-elle.
Si elles diffèrent, les deux versions confirment l'apparition de la pêche Melba à la Belle Époque, probablement en 1893, la cantatrice s'étant alors produite à six reprises à Londres dans Lohengrin, dont une le 15 mai.
La coupe glacée rencontre très vite le succès : Escoffier la propose sur un menu à l'occasion de l'ouverture du Carlton, en 1899. Elle fit fureur à Londres, puis dans le reste du monde, raconte Nellie Melba.
La recette originelle se prépare avec des pêches « de qualité tendre et mûres à point », comme celles de Montreuil.
Plongées deux secondes dans l'eau bouillante, elles sont ensuite jetées dans de l'eau glacée, ce qui conservera leur fraîcheur et leur couleur.
La peau enlevée, elles sont saupoudrées de sucre et mises au frais jusqu'au dressage.
C'est alors qu'on les range délicatement sur une glace à la vanille très crémeuse, pour ensuite les couvrir d'une purée de framboise, et les parsemer, facultativement, d'amandes fraîches effilées.
Par la suite les pêches seront pochées dans un sirop. Escoffier se plaindra du dévoiement de sa recette, de l'intrusion de la gelée de groseille et de la crème Chantilly, qui font aujourd'hui partie de nos modernes pêches Melba.
Extraits du texte de Patrick Rambourg paru dans la revue Historia de juillet-août 2020
24 juillet 2021
Commentaires
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- 1. Ginie Le 29/07/2021
Bonjour pipa, belle et gourmande histoire, ça donne envie d'en manger hé hé. Gros bisous.
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