Elisabeth Brami

Elisabeth BramiNée à Varsovie le 25/08/1946, élevée en France, Elisabeth Brami est auteur de près de quatre-vingts livres en littérature jeunesse publiés au Seuil, et certain ont reçu de nombreux prix.
Elle est aussi psychologue clinicienne dans un hôpital pour adolescents.
Élisabeth Brami anime également des ateliers d’écriture.
Je vous écris comme je vous aime est son premier roman.

Dans son livre Petites popotes pour les petits potes, les textes sont colorés et imagés d’expressions culinaires sur les fruits et légumes.
C’est souriant, lumineux et d’une belle richesse de style.

Lune de miel chez Bouillon

Ce type-là n’avait pas inventé le fil à couper le beurre. On pouvait le rouler dans la farine autant qu’on voulait, il n’y voyait goutte. En plus son visage était une vraie tranche de cake et il n’avait pas un radis en poche. Tout cela explique qu’à son âge, « il marinait encore chez les harengs ».
Quand il rencontrait une fille, il était tout sucre, tout miel ; mais bien souvent elle finissait par lui dire d’aller se faire cuire un œuf et, s’il insistait un peu, lui proposant de l’inviter à déjeuner, elle répliquait : « Compte là-dessus et bois de l’eau ! ». Une fois il s’était même trouvé avec un œil au beurre noir : dur à avaler !
Pourtant Olive, c’est son nom, était la crème des hommes et sa mère lui répétait souvent :
« Tout pain rassis trouve son beurre rance. » une façon normande de traduire le célèbre proverbe : « Pas de vieille marmite qui ne trouve son couvercle. »
Bref, avec les filles, il avait appris à marcher sur des œufs et il surveillait leurs réactions comme le lait sur le feu.

Un jour d’hiver où la purée de pois était à couper au couteau, il aperçut dans la rue, une grande asperge au teint d’endive. Elle avait l’air dans la mélasse, sa voiture venait de tomber en carafe alors qu’elle roulait sur un cassis.
Coiffée en choucroute, les yeux en amande, elle était à croquer. Comme il la dévorait des yeux, rouge comme une tomate, elle lui demanda mi-figue mi-raisin s’il avait avalé sa langue ou s’il prenait racine. Mais lui, pour la première fois de sa vie, buvait du petit-lait.
Pétri de bonnes intentions, le voilà qui lui propose de casser la croûte chez Bouillon, rue Racine, ce qu’elle accepte, car elle a l’estomac dans les talons. « Je ne crains pas le bouillon de onze heure ! lui déclare-t-elle jouant de la prunelle, et vous n’avez pas l’air poison ! »
Ils s’empiffrèrent d’amuse-gueules dans le boui-boui rétro, mangèrent à s’en lécher les doigts, firent un petit vœu avec un petit os de poulet puis terminèrent la soirée en portant un toast à leur rencontre. Vers minuit, ils changèrent de crèmerie et prirent un dernier jus de chaussette au comptoir.

La pluie s’était mise à tomber. Il lui proposa de la raccompagner, même s’il n’avait guère mieux qu’un parapluie rose bonbon troué comme un gruyère. Ils se firent donc saucer. « Je ne vais pas fondre, je ne suis pas en sucre ! » riait-elle trempée comme une soupe. Lui ne cessait de la manger des yeux : la mayonnaise avait pris.
Cette fois-ci une fille ne lui tenait pas la dragée haute ! Au petit matin, tous deux déambulaient en chantant comme des casseroles. Ils avaient de nouveau un petit creux et, comme « ventre affamé n’a pas d’oreilles », ils chantaient faux.
Quand le ciel devint rose saumon, Olive téléphona à ses parents pour leur raconter son aventure, mais il y avait de la friture sur la ligne : sa mère, qui s’était mis la rate au court-bouillon, crut que son fils était beurré comme un coing et elle tomba dans les pommes. 
Quelques temps après cette folle nuit, le mariage eut lieu. Sous des poignées de riz, les jeunes mariés descendirent les marches de la mairie.

Depuis, ils ont réussi à trouver un gagne-pain. Chacun met la main à la pâte pour faire bouillir la marmite et ils ne mangent plus de la vache enragée. Leur vie est devenue une longue lune de miel et… ils attendent même un lardon !
Vous voyez, rencontrer l’amour de sa vie, ce n’est pas la mer à boire, mais c’est toujours le fruit du hasard.