Les enfants qui chapardent des crânes terreux
Je possède plusieurs ouvrages sur Georges Brassens ainsi que les vinyles de ses albums et je possède, je croyais, la quasi totalité de ses poèmes et chansons.
J’ai eu connaissance il y a quelques mois, dans la rubrique dictionnaires, de l’ouvrage, paru aux Éditions Atlande, écrit par Jean-Louis Garette : Brassens Mais où sont les mots d’Antan ? Un « Dictionnaire de mots et expressions » d’une grande richesse que je recommande à tous les amoureux de belles lettres. ? plusieurs reprises je trouvais des mots expliqués qui étaient extrait d’un poème que je ne connais pas et qui ne figure dans aucun ouvrage ou recueil que je possède et dont le titre m’a interpellé : Les enfants qui chapardent des crânes terreux.
Mes recherches m’ont permis d’en trouver le contenu. Un texte écrit en 1941 et qui fut publié dans l’almanach 1955 du Canard enchaîné. Il reprend de nombreux thèmes que l'on trouvera dans ses chansons. Il mérite de figurer dans mes récits insolites et d’être porté à la connaissance du plus grand nombre. Le voici in extenso.
Les enfants qui chapardent des crânes terreux
Dans le charnier des cimetières de province
Ne pourront plus jamais dire qu'on les évince
Du langage des dieux.
Bien loin d'agir à la légère
Comme affirment les faux témoins
Les effrontés folliculaires
Ils apportent beaucoup de soin
À la mise au point
De l'affaire
Les enfants qui chapardent des crânes terreux.
Au fond de leur grenier poudreux
Dont ils ont voilé la lucarne
(Pour barrer le passage aux indiscrets)
Sans la moindre plainte ils s'acharnent
Sur des monceaux de documents secrets
Et font tant d'orgies
De bougies
Que le marchand de cire en est
Tout étonné.
Un beau matin leur stratège se lève et grave
Leur dit : « mes braves
L'heure a sonné ».
Vêtus de macfarlanes amples
(Caches habituelles du butin)
Ils se mettent en marche insignes paladins
Et si par hasard l'un d'eux tremble
Ce n'est pas d'effroi
Mais de froid
Tel ce guillotiné dont la littérature
Leur conta la mésaventure.
Ils arborent avec orgueil
À l'endroit de la boutonnière
Un petit morceau de cercueil
Fruit d'une croisade dernière.
Merveilleusement sûrs
De bien mener leur barque
Ils mettent le cap sur
L'océan de la Parque
Au reste dans le port
Déjà hors
De portée
Ils se savent des sœurs parfois des fiancées
Qui pour leur éviter le pire prient pour eux.
Se plonger dans le trou pullulant d'araignées
N'en déplaise aux crâneurs c'est assez dangereux
Et plus qu'on ne suppose ils ont l'âme soignée
Les enfants qui chapardent des crânes terreux.
En voulez-vous des têtes de mort, une, deux,
Trois, quatre, dix, vingt, cent, bien faites ou mal faites
Nom d'une pipe en voulez-vous des têtes ?
Les enfants qui chapardent des crânes terreux
Dans le charnier des cimetières de province
Connaissent la fontaine isolée où l'on rince
Les macabres larcins à l'abri des curieux.
Voici les filles à qui par cent détours
On révèle les arcanes de l'ossuaire.
À qui l'on offre des petits bouts de suaire
En gage d'immortel amour
À qui l'on murmure : « je t'aime »
En effeuillant le chrysanthème.
Et voilà les capitulards : on les houspille
Au large, au large, au large, éloignez-vous peureux
Les enfants qui chapardent des crânes terreux
Ne les échangent pas contre des sacs de billes.
Le temps passe. L'enfance meurt dans la mansarde
Au cour d'un bric-à-brac attachant et affreux
Trône le dieu déchu, le vieux crâne terreux
Qui s'escrime à serrer les dents sur sa bouffarde.
Le temps passe. Avec son sourire et son trousseau
Il vient une petite femme qui se pique
De bon ordre. Une tyrannette. Le fléau
De tout ce qui franchit les horizons pratiques
Un jour, n'y tenant plus elle grimpe là-haut
Et fait en sorte que le vieux crâne épique
Se casse un reliquat de nez dans le ruisseau
Et donne chair de poule à quelque chemineau.
Ajouter un commentaire