La Tapisserie de Bayeux sauvée
De la Révolution à nos jours
Un révolutionnaire sauveur de la Tapisserie
Dans le tumulte de la Révolution française, La tapisserie de Bayeux faillit servir de bâche pour protéger un chariot de munitions et deux ans plus tard, elle aurait dû être découpée en lambeaux. Si elle est aujourd’hui entière et admirée par les 400 000 visiteurs annuels du musée de l’Hôtel de ville de Bayeux, nous le devons à un homme providentiel, commissaire du Directoire exécutif du district de Bayeux.
Faisons connaissance avec l’homme : Lambert Léonard Leforestier naquit à Cerisy-la-Forêt le 4 mars 1764. Entré à 18 ans au régiment de la Reine-Dragons, il s’orienta vers le droit, Reçu avocat, il s’installa pour plaider au Baillage et à l’Officialité de Bayeux. En 1790, quand les ecclésiastiques refusèrent de prêter serment à la Constitution, pour que le collège ne soit pas fermé, il accepta de professer gratuitement à la chaire de seconde, poste qu’il occupa jusqu’en 1792 quand il fut promu commissaire du Directoire exécutif.
Cette année-là de partout se levaient des troupes prêtes à défendre la patrie menacée par l’invasion étrangère. ? Bayeux, le 6e bataillon bis du Calvados improvisa des charrois et le transport des équipages. Il pleuviotait et un chariot de munitions eut besoin d’être couvert, mais on manquait de tissu.
« Pourquoi ne pas utiliser cette grande toile brodée conservée depuis des lustres dans la cathédrale ? » dit un quartier-maître.
Les soldats allèrent la chercher, c’est alors que Lambert Leforestier mit au courant s’interposa. Il pensait que son aura suffirait à faire entendre raison aux Bayeusains en leur expliquant l’importance de la tapisserie. Mais que vaut une relique de l’Ancien Régime face aux besoins de patriotes en route pour combattre ! Ils se montrèrent insensibles à ses arguments. C’est alors qu’il décida de la jouer plus finement.
« Votre chariot mérite une toile bien plus solide que cela », affirma-t-il, se lançant dans un réquisitoire contre la piètre qualité de la toile.
Il proposa de financer lui-même l’achat d’une bâche beaucoup plus robuste. Sa plaidoirie fit mouche et la troupe rendit la tapisserie que Leforestier s’empressa de faire porter dans son cabinet de travail, le temps que les évènements se tassent. Puis il la remit ensuite à la commission des Arts de Bayeux.
Moins de deux ans plus tard en 1794, des révolutionnaires peu admiratifs de ce vestige, mais attirés par les couleurs vives de la toile entreprirent de la découper en bandes pour orner un char de la fête de la Raison ! Les membres de la commission tinrent bon et refusèrent la sauvant une seconde fois de la destruction.
Cette tapisserie millénaire est en fait une broderie puisque les motifs ne sont pas tissés dans la toile mais brodés. Cette œuvre, ‘’la plus vieille bande dessinée au monde’’ mesure environ 50cm de haut pour 68m de long. Elle servait de support aux conteurs qui narraient l’histoire de Guillaume le Conquérant représentée en partie centrale avec de chaque côté de petits tableaux brodés, comme : des animaux réels ou fantastiques, des éléments de fables comme le corbeau et le renard, des scènes de la vie quotidienne avec parfois des détails un peu crus… elle était exposée dans la cathédrale lors des fêtes religieuses.
Elle a tout de même échappé aux incendies, pillages et destructions au court des conflits qui se sont succédé de sa création à nos jours.
En 1804-1805, Napoléon la fit placer au Louvre car il voulait s’en servir pour étayer ses projets pour envahir l’Angleterre. Elle repartit à Bayeux.
En 1939, elle fut placée dans un abri souterrain où elle sera protégée pendant deux ans. La portée politique et militaire de la tapisserie intéressa les nazis et son étude fut confiée aux équipes allemandes de l’Anhenerbe (Institut pour la recherche et l’enseignement sur l’héritage ancestral de l’idéologie hitlérienne).
Le 19 août 1941, elle fut transférée au dépôt des musées nationaux de Sourches (Sarthe). Elle servit aussi aux allemands, d’étude pour l’invasion de l’Angleterre qui heureusement naboutit pas.
Face à l’avancée des alliés, elle sera envoyée le 26 juin 1944 au Musée du Louvre.
Notons ici que le 15 juillet 1944, la une du quotidien New Yorker décrivit le débarquement de Normandie sous la forme d’une frise dessinée qui reprit les couleurs et la structure de la broderie millénaire ; une belle parodie que je vous laisse admirer et n’oubliez pas de cliquer sur l’image pour mieux la visualiser.
Quand la gestapo vint chercher la tapisserie, fin août, pour l’évacuer en Allemagne, juste avant la libération de Paris, le général Dietrich von Choltitz, Gouverneur militaire du « Grand Paris », leur dit que le Louvre était au main des résistants, encore un ‘’sauveteur’’ de la toile laquelle, dès la fin de la guerre, retrouva sa place à Bayeux.
Pour être complet sur l’œuvre, je vous précise que brodée à l’origine avec de la laine sur une toile de lin, elle a été doublée d’une autre toile, remplacée à plusieurs reprises pour être renforcée. Si on l’observe de près, on voit qu’elle est pleine de rapiéçages, restaurée, rebrodée à plus de 80 endroits. C’est un véritable trésor pour les historiens et les archéologues car on y trouve une foule de détails sur les vêtements, les armes, l’architecture, les coutumes, les outils etc… Dès qu’un article ou un documentaire parle de la vie à cette époque, on a droit à des images de la tapisserie. Un passage obligé !
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