Premier amour d'enfance

C’était il y a huit ans, j’avais douze ans et j’habitais Condrieu. J’aimais me promener le dimanche le long des quais du Rhône.
J’aperçus ce jour-là, Juliette une camarade de classe. Je la trouvais très belle avec sa jupe plissée, son corsage de dentelle anglaise et le nœud rose dans les cheveux.
Timide, je la croisais en baissant les yeux quand elle m’interpella :
« 
Bonjour Michel ! Où vas-tu ? »
« 
Jusqu’au bassin des joutes, répondis-je ! » 
« 
Je peux venir avec toi ? »
C’est ainsi, banalement, qu’avait commencé ma première promenade d’amoureux.
Bassin de joutes CondrieuElle me souriait tendrement et je me sentais pousser des ailes. Notre balade nous conduisit au bassin où les jouteurs s’affrontaient. Nous nous assîmes côte à côte sur le premier gradin prévu pour les spectateurs et nous sommes restés là à parler à bâtons rompus en nous tenant la main.
J’aurais aimé poser un baiser sur sa joue, mais je n’ai pas osé. Lorsqu’elle donna le signal du départ, je sursautai, croyant que nous étions en ce paradis pour l’éternité.

Une mutation professionnelle de papa nous fit quitter Condrieu une semaine plus tard.
J’étais donc revenu cette année à Condrieu en garant ma voiture sur le quai du Rhône. Je me remémorai le passé en tentant d’imaginer Juliette qui devait être une jolie jeune femme sans doute mariée ou en couple.
J’étais perdu dans mes pensées en arrivant au bassin des joutes.
Surpris, je vis une fillette assise jambes pendantes au-dessus de l’eau. Elle était de dos et je pouvais voir un nœud rose dans ses cheveux aux boucles frisées : elle était vêtue d’un corsage de dentelle qui laissait nus ses bras graciles d’une enfant de douze ans.  Je m’approchai ; elle dû deviner ma présence car elle tourna la tête et me fixa les sourcils froncés.
« 
Ah ! Te voilà enfin ! Ma patience était à bout ! » 
« 
Juliette ? Mais, tu n’as pas grandi !!! » 
« 
Je suis là et tu es là, que te faut-il de plus ? Allez ! Prends-moi la main et conduis-moi de par le monde. »
Tétanisé, j’oubliai son âge et au lieu de tendre la main, j’avançai mes lèvres vers les siennes qu’elle avait bien dessinées et pour tout dire tentantes.
Brusquement, telle une éphémère bulle de savon, elle disparût dans une explosion irisée. J’ai juste eu le temps de voir s’enfuir autour de ma tête, une libellule dont les reflets métalliques pétillaient encore devant mes yeux.

Choqué, je me levai et rebroussai chemin. Je croisai alors Jeannot, un ami d’enfance. Nous nous donnâmes l’accolade et nous nous racontâmes nos aventures de ses dernières années. À brûle pourpoint je questionnai : 
« 
Te souviens-tu de Juliette ? » 
« 
Oui, mais c’est bien triste ! Adolescente elle a quitté Condrieu avec ses parents et elle a dû devenir une sacré belle fille. »
« 
En quoi c’est triste ? » Demandai-je.

« Hélas, il y a à peu près six mois, dans le journal… un accident de voiture… Fatal ! »

17 mars 2021