Le pouvoir des fables

Livre VIII fable 4 - publié en 1678

Le pouvoir des fablesLe 8 juin 2021, l’Institut de France célébrait le 400e anniversaire de la naissance de La Fontaine.
Le chancelier de l’Institut, dans son discours d’ouverture évoqua la fable :
Le pouvoir des fables qui est à part dans le recueil de 1678 et qui symbolise bien le fabuliste populaire, universel et consensuel ancré dans la culture commune à tous les Français et dans la littérature mondiale.
Lorsque La Fontaine termine sa fable par :

Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant,
Il le faut amuser encor comme un enfant,

La Fontaine pensait à l’enfant qui subsiste, ...et qui écoute, en chacun de nous-autres les adultes.

Le pouvoir des fables est la quatrième fable du livre VIII publié en 1678.
Elle est dédiée à M. De Barillon, ambassadeur de France en Angleterre auprès du roi d'Angleterre Charles II, que Jean de La Fontaine a rencontré à Paris. M. De Barillon se devait de convaincre le roi d'Angleterre Charles II de ne pas se joindre à la triple alliance (l'Espagne, l'Autriche et la Hollande) contre la France. La Fontaine le convainquit d'utiliser les artifices de la Fable plutôt que la rhétorique. L'Angleterre resta l'alliée de la France.

La fable deuxième partie

Dans Athènes autrefois, peuple vain et léger,
Un orateur, voyant sa patrie en danger,
Courut à la tribune ; et d'un art tyrannique,
Voulant forcer les cœurs dans une république,
Il parla fortement sur le commun salut. 
On ne l'écoutait pas. L'orateur recourut 
A ces figures violentes 
Qui savent exciter les âmes les plus lentes : 
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put.
Le vent emporta tout, personne ne s'émut ;
L'animal aux têtes frivoles,
Étant fait à ces traits, ne daignait l'écouter ;
Tous regardaient ailleurs ; il en vit s'arrêter
A des combats d'enfants et point à ses paroles.
Que fit le harangueur ? Il prit un autre tour.
« Céres, commença-t-il, faisait voyage un jour
Avec l'anguille et l'hirondelle ;
Un fleuve les arrête, et l'anguille en nageant, 
Comme l'hirondelle en volant, 
Le traversa bientôt. » L'assemblée à l'instant 
Cria tout d'une voix : « Et Céres, que fit-elle ? 
Ce qu'elle fit ? Un prompt courroux 
L'anima d'abord contre vous. 
Quoi ? de contes d'enfants son peuple s'embarrasse ! 
Et du péril qui la menace

Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet ! 
Que ne demandez-vous ce que Philippe fait ? » 
A ce reproche l'assemblée, 
Par l'apologue réveillée, 
Se donne entière à l'orateur : 
Un trait de fable en eut l'honneur. 
Nous sommes tous d'Athènes en ce point, et moi-même, 
Au moment que je fais cette moralité, 
Si Peau d'Âne m'était conté, 
J'y prendrais un plaisir extrême. 

Le monde est vieux, dit-on : je le crois ; cependant 
Il le faut amuser encor comme un enfant. 
  

25 septembre 2021

Précisions

C’est dans la deuxième partie de la fable (à partir de "Dans Athènes autrefois"), que La Fontaine veut montrer le pouvoir de la fable pour convaincre.
Il montre ainsi un orateur ayant dans un premier temps recours à un discours rhétorique sans succès, puis qui parvient à capter l'attention de son auditoire grâce une fable simple.
Cette fable est donc une fable dans la fable, un apologue dans l'apologue.
La Fontaine démontre le pouvoir de cet art et revendique son amour pour les fables.
Le Fabuliste montre ici que ce qu'il fait dans ses fables, est le meilleur moyen d'instruire : pour instruire, il faut avant tout divertir.

Peau d’Âne était un conte populaire à l’époque de La Fontaine. Le conte que Perrault reprit en vers, ne sera édité qu’en 1691.

Louis Deseine buste de La Fontaine musée Château-Thierry