Le Lièvre et la Perdrix
Livre V - Fable 17
La Fontaine citait Esope comme inspirateur de sa fable. Pourtant, la fable est en réalité inspirée par le fabuliste latin Phèdre
« Le Passereau conseiller du Lièvre ».
Je vous mets tout d’abord l’image moderne de la fable de La Fontaine, en hommage au peintre Willy Aractingi. Artiste autodidacte, né à New-York en 1930, Willy Aractingi commence à peindre les fables de Jean de la Fontaine le 15 Janvier 1989. Il termine l'œuvre colossale des 246 fables fin 1995, soit sept années de labeur. Il est le seul artiste connu à avoir peint toutes les fables en huile sur toile. Willy Aractingi est décédé à Barcelone le 27 Juin 2003.
Avant-Propos : peut-être devons-nous voir dans cet apologue de La Fontaine, une allusion aux tribulations et disgrâces de Fouquet mais aussi aux soucis et aux incertitudes de la condition humaine. Car il avait d’abord écrit une autre fable non publiée de son vivant pour laquelle nous retrouvons les quatre mêmes vers au début il s'agissait de « Le Renard et l’Ecureuil ». Elle n’a pas été publiée du vivant du fabuliste, probablement à cause des allusions précises à l’ancien surintendant général des Finances, Fouquet, dont l’écureuil était l’emblème. Le sens de cette fable exprime les espoirs que conservent les partisans de Foucquet, même après sa condamnation, d'une revanche sur Colbert [...]. En juin 1665, la foudre était tombée sur Pignerol, épargnant Foucquet par miracle (allusions vers 19 et 20 ? peut-être...). En 1667 et 1671, la chute de Colbert était évoquée... Cette allégorie a circulé sous le manteau... sans être imprimée, on le comprend ! Elle fut imprimée pour la 1ère fois en 1861...

Voici donc la version de Phèdre et ensuite les deux fables de La Fontaine.
À gauche l'image de Phèdre, à droite la version de
Le Lièvre et la Perdrix
Cliquez sur les trois images pour mieux les visualiser
Phèdre
LE PASSEREAU, CONSEILLER DU LIÈVRE
Ne pas prendre garde à soi et donner des conseils aux autres est stupide,
Montrons le en quelques vers.
Un lièvre enserré par un aigle et poussant de sourds gémissements, se faisait réprimander par un passereau :
« Où est cette agilité renommée ? dit-il,
Pourquoi ces pattes se sont-elles donc arrêtées ? »
Alors qu'il parle encore, un épervier l'enlève à son insu
Criant d'une plainte vaine, et le tue.
Le lièvre mourant dit en consolation de sa propre mort :
« Toi qui insouciant il y a un instant, te riais de mes maux, tu déplores maintenant ton sort d'une pareille plainte. »
Le Lièvre et la Perdrix
Il ne se faut jamais moquer des misérables
Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux ?
Le sage Ésope dans ses fables
Nous en donne un exemple ou deux.
Celui qu'en ces vers je propose,
Et les siens, ce sont même chose.
Le lièvre et la perdrix, concitoyens d'un champ,
Vivaient dans un état, ce semble, assez tranquille,
Quand une meute s'approchant
Oblige le premier à chercher un asile :
Il s'enfuit dans son fort, met les chiens en défaut,
Sans même en excepter Brifaut.
Enfin il se trahit lui-même
Par les esprits sortants de son corps échauffé.
Miraut, sur leur odeur ayant philosophé,
Conclut que c'est son lièvre, et d'une ardeur extrême
Il le pousse ; et Rustaut, qui n'a jamais menti,
Dit que le lièvre est reparti.
Le pauvre malheureux vient mourir à son gîte.
La perdrix le raille et lui dit :
«Tu te vantais d'être si vite !
Qu'as-tu fait de tes pieds ?"Au moment qu'elle rit,
Son tour vient; on la trouve. Elle croit que ses ailes
La sauront garantir à toute extrémité,
Mais la pauvrette avait compté
Sans l'autour aux serres cruelles.
Fort - Richelet écrit à propos de fort : « Terme de chasse, buisson fort et épais où quelques bêtes de chasse se retirent. »
Met les chiens en défaut - Terme de vénerie signifiant que les chiens ont perdu la piste du lièvre.
Brifaut - Nous retrouvons ce nom de chien dans
« Le Chat et le Renard »
(Livre IX, fable 14, vers 27).
Il le pousse- Il le poursuit.
L'autour: Grand rapace diurne des régions tempérées de l’hémisphère nord, de la famille des accipitridés, très apprécié en fauconnerie.
Le Renard et l'écureuil
D’après La Fontaine, œuvres complètes,
Bibliothèque de La Pléiade
Il ne se faut jamais moquer des misérables,
Car qui peut s'assurer d'être toujours heureux ?
Le sage Ésope dans ses fables
Nous en donne un exemple ou deux ;
Je ne les cite point, et certaine chronique 1
M'en fournit un plus authentique.
Le Renard se moquait un jour de l'Écureuil
Qu'il voyait assailli d'une forte tempête :
Te voilà, disait-il, près d'entrer au cercueil 2
Et de ta queue en vain tu te couvres la tête.
Plus tu t'es approché du faîte,
Plus l'orage te trouve en butte à tous ses coups3
Tu cherchais les lieux hauts et voisins de la foudre4
Voilà ce qui t'en prend ; moi qui cherche des trous,
Je ris, en attendant que tu sois mis en poudre5
Tandis qu'ainsi le Renard se gabait6
Il prenait maint pauvre poulet Au gobet7
Lorsque l'ire du Ciel à l'Ecureuil pardonne :
Il n'éclaire plus, ni ne tonne ;
L'orage cesse ; et le beau temps venu
Un Chasseur ayant aperçu
Le train de ce Renard autour de sa tanière :
Tu paieras, dit-il, mes poulets.
Aussitôt nombre de bassets
Vous fait déloger le Compère.
L'Écureuil l'aperçoit qui fuit
Devant la meute qui le suit.
Ce plaisir ne lui dure guère,
Car bientôt il le voit aux portes du trépas.
Il le voit ; mais il n'en rit pas,
Instruit par sa propre misère.
1 - Allusion probable au procès Foucquet
2 - Fouquet n'avait sauvé sa tête que de justesse
3 - Allusion au billet envoyé par La Fontaine à son ami Maucroix, dans lequel il lui faisait part de l'arrestation de Foucquet
4 - Allusion à la devise de Foucquet "Quo non ascendam" (Jusqu'où ne m'éléverai-je pas ?)
5 - Réduit en poussière
6 - se moquer
7 - au gosier...
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