Les Serins et le Chardonneret

Florian Livre 1 fable 5

Illustration 1949 Armand RapenoNous avons ici une fable à tiroirs.
Tout d’abord, l’apologie visant à louer la générosité des parents adoptifs qui aiment et soignent un orphelin comme leurs propres enfants.
Secundo, nous avons l’éloge de l’adopté qui montre de la reconnaissance et rend à ses adoptants l’amour qu’il en reçoit.
Tertio, quelle que soit l’opinion de ceux qui jalousent son statut, l’orphelin encense et souligne qu’un bienfaiteur est plus qu’un père.
La morale pourrait être :

La vraie qualité d’un être humain, c’est rendre l’amour qu’on reçoit.

Je vous laisse lire la fable qui est joliment poétique.

Le texte de Florian

Un amateur d’oiseaux avait, en grand secret,
Parmi les œufs d’une serine
Glissé l’œuf d’un chardonneret.
La mère des serins, bien plus tendre que fine,
Ne s’en aperçut point, et couva comme sien
Cet œuf qui dans peu vint à bien.
Le petit étranger, sorti de sa coquille,
Des deux époux trompés reçoit les tendres soins,
Par eux traité ni plus ni moins
Que s’il était de la famille.
Couché dans un duvet, il dort le long du jour
À côté des serins dont il se croit le frère,
Reçoit la béquée à son tour,
Et repose la nuit sous l’aile de la mère.
Chaque oisillon grandit, et, devenant oiseau, d’un brillant plumage s’habille ;
Le chardonneret seul ne devint point jonquille.
Et ne s’en croit pas moins des serins le plus beau.
Ses frères pensent tout de même :
Douce erreur qui toujours fait voir l’objet qu’on aime
Ressemblant à nous trait pour trait !
Jaloux de son bonheur, un vieux chardonneret
Vient lui dire : il est temps enfin de vous connaître,
Ceux pour qui vous avez de doux sentiments
Ne sont point du tout vos parents.
C’est d’un chardonneret que le sort vous fit naître.
Vous ne fûtes jamais serin : regardez-vous,
Vous avez le corps fauve et la tête écarlate,
Le bec… oui dit l’oiseau, j’ai ce qu’il vous plaira,
Mais je n’ai point une âme ingrate,
Et mon cœur toujours chérira
Ceux qui soignèrent mon enfance.
Si mon plumage au leur ne ressemble pas bien,
J’en suis fâché, mais leur cœur et le mien
Ont une grande ressemblance.
Vous prétendez prouver que je ne leur suis rien,
Leurs soins me prouvent le contraire.
Rien n’est vrai comme ce qu’on sent.
Pour un oiseau reconnaissant
Un bienfaiteur est plus qu’un père.

16 juillet 2021