Le Vacher et le Garde-Chasse

Le vacher et le garde chasseLa morale très célèbre de cette fable de Florian, est régulièrement citée. L'idée qu'elle récapitule se trouve dans d'autres fables. C'est le cas notamment de celle de La Fontaine intitulée Le Cheval et le Loup qui déjà reprenait une fable d'Esope. Néanmoins c'est la formulation de Florian (Chacun son métier, les vaches seront bien gardées) qui s'est imposée dans le bon sens populaire.

Une locution proverbiale du milieu du XVIIIe siècle reprise par le Littré qui rajoute que les choses sont bien faites, quand chacun ne se mêle que de celles qu'il sait faire. C'est aussi une formule utilisée pour remettre à sa place une personne qui pérore sur une question dont il ignore à peu près tout.

Voici donc les deux fables de La Fontaine et Florian

La Fontaine - Le Cheval et le Loup

Un certain Loup, dans la saison
Que les tièdes zéphirsont l'herbe rajeunie,
Et que les Animaux quittent tous la maison,
Pour s'en aller chercher leur vie.
Un Loup dis-je au sortir des rigueurs de l'hiver,
Aperçut un cheval qu'on avait mis au vert.
Je laisse à penser quelle joie !
Bonne chasse, dit-il, qui l'aurait à son croc. 
Et que n'es-tu point mouton ? Car tu me serais hoc :
Au lieu qu'il faut ruser pour avoir cette proie.
Rusons donc. Ainsi dit, il vient à pas somptés.
Se di écolier d'Hippocrate ;
Qu'il connaît les vertus et les propriétés de tous les simples de ces prés,
Qu'il sait guérir, sans qu'il se flatte,
Totes sortes de maux. Si Dom Coursier  voulait
Ne point celer sa maladie,
Lui Loup gratis le guerirait ;
Car le voir en cette prairie
Paître ainsi sans être lié,
Témoignait quelque mal, selon la Médecine.
J'ai dit la bête chevaline,
Une apostume sous le pied.
Mon fils dit le Docteur, il n'est point de partie
Susceptible de tant demaux.
J'ai l'honneur de servirNosseigneurs les Chevaux.
Et faisaussi la Chirurgie.
Mon Galant ne songeait qu'à bien prendre son temps,
Afin de happer son malade.
L'autre qui s'en doutait, lui lâche une ruade,
Qui vous lui met en marmelade
Les mandibules et les dents.
C'est bien fait dit le Loup en soi-même fort triste,
Chacun à son métier doit toujours s'attacher,
Tu veux faire ici l'Arboriste,
Et tu ne fus jamais que boucher.

 

Florian - Le Vacher et le Garde-Chasse

Colin gardait un jour les vaches de son père ;
Colin n'avait pas de bergère,
Et s'ennuyait tout seul. Le garde sort du bois :
Depuis l'aube, dit-il, je cours dans cette plaine
Après un vieux chevreuil que j'ai manqué deux fois
Et qui m'a mis tout hors d'haleine.
Il vient de passer par là-bas,
Lui répondit Colin. Mais si vous êtes las,
Reposez-vous, gardez mes vaches à ma place,
Et j'irai faire votre chasse.
Je réponds du chevreuil. - Ma foi, je le veux bien.
Tiens voilà mon fusil, prends avec toi mon chien,
Vas le tuer. Colin s'apprête,
S'arme, appelle Sultan. Sultan, quoiqu'à regret,
Court avec lui, vers la forêt.
Le chien bat les buissons ; il va, vient, sent, arrête
Et voilà le chevreuil... Colin impatient
Tire aussitôt, manque la bête,
Et blesse le pauvre Sultan.
À la suite du chien qui crie,
Colin revient à la prairie.
Il trouve le garde ronflant ;
Des vaches point ; elles étaient volées.
Le malheureux Colin, s'arrachant les cheveux,
Parcourt en gémissant les monts et les vallées.
Il ne voit rien. Le soir sans vaches, tout honteux,
Colin retourne chez son père,
Et lui conte en tremblant l'affaire.
Celui-ci, saisissant un bâton de cormier,
Corrige son cher fils de ses folles idées.
Puis lui dit : Chacun son métier
Les vaches seront bien gardées.