Le Grillon bis

Les deux Lézards d'Antoine Houdar de la Motte

Antoine Houdar de la MotteLa morale de la fable de Florian Le Grillon : « Pour vivre heureux, vivons cachés » est abondamment citée et souvent attribuée à La Fontaine.
Mais rendons à César ce qui appartient à Houdard, car Florian pour le Grillon, s’est inspiré du rival autoproclamé de la Fontaine, Antoine Houdard de la Motte (1672-1731).
Il inventait les thèmes de ses fables en nous faisant une description assez détaillée de son époque. Comme pour défier son illustre prédécesseur, il inventa les « 
fables nouvelles » en 1719.

La fable, qui inspira Florian, s’intitule : « Les deux Lézards ».
Je vous en donne la primeur.

 

Fables nouvellesAu coin d'un bois, le long d'une muraille,
Deux lézards, bons amis, conversaient au soleil.
Que notre état est mince ! En est-il un pareil ? 
Dit l'un. Nous respirons ici vaille que vaille ;
Et puis c'est tout; à peine le sait-on, 
Nul rang, nulle distinction. 
Que maudit soit le sort de m'avoir fait reptile. 
Encor, si comme on dit que l'on en trouve ailleurs, 
Il m'eût fait gros lézard, et nommé crocodile, 
J'aurais ma bonne part d'honneurs :
Je ferais revenir la mode 
Du temps où sur le Nil l'homme prenait sa loi ; 
Encensé comme une pagode 
Je tiendrais bien mon quant à moi. 
Bon, dit l'ami sensé; quel regret est le vôtre ? 
Comptez-vous donc pour rien de vivre sans souci ? 
L'air, la campagne, l'eau, le soleil, tout est nôtre: 
Jouissons-en, rien ne nous trouble ici. 
Mais l'homme nous méprise: en voilà bien d'une autre. 
Ne saurions-nous le mépriser aussi ? 
Que vous avez l'âme petite,  Dit le reptile ambitieux ! 
Non, mon obscurité m'irrite, et je voudrais attirer tous les yeux. 
Ah ! Que j'envie au cerf cette taille hautaine, 
Et ce bois menaçant qui doit tout effrayer ! 
Je l'ai vu se mirer tantôt dans la fontaine,
Et cent fois de dépit j'ai pensé m'y noyer. 
Il est interrompu par un grand bruit de chasse ; 
Et bientôt le cerf relancé 
Tombe près d'eux, et pleurant sa disgrâce, 
Céde aux chiens dont il est pressé. 
Au bruit d'un cor perçant, tout court à la curée ; 
Ni meute, ni chasseur ne songent au lézard ;
Mais la bête superbe à la meute est livrée ; 
Brifaut, gersaut, miraut, chacun en prend sa part.
Après sa sanglante aventure, 
Fait-il bon être cerf, dit l'ami sage ?
Hélas !  Dit le fou détrompé; vive la vie obscure. 
Petits, les grands périls ne nous regardent pas.

Brifaut, gersaut, miraut  – ce sont tous trois des noms donné à des chiens de chasse.

04 août 2021