Les consoles de repos

Texte de Gérard Truchet et photos de Fabulgone

Suite aux confinements et aux règles sanitaires, la société des Amis de Lyon et de Guignol a dû interrompre conférence, cours de parler lyonnais, sortie d’été et mâchon d’hiver. Outre la gestion du site dont je suis gestionnaire, je suis aussi le rédacteur et responsable de la mise en œuvre des bulletins à destination des adhérents. Avec le soutien actif de Gérard notre président, nous avons pu éditer deux bulletins ; parmi les articles qui y figurent, Gérard a écrit le texte ci-dessous et je suis allé prendre en photo les deux consoles de repos survivantes. Voici donc ce qui subsiste de cette partie du patrimoine lié aux canuts et à la soierie lyonnaise.

N.B. Le rendeur était généralement un costaud dans l’équipe des maîtres canuts, il était celui qui allait porter la grande pièce de soie au fabriquant.

En hommage à Elie Vignal

Lyon est belle, aimée, admirée. Son élégance n’a d’égale que sa beauté. À la perfection, notre Ville, telle une femme, se pare de chatoyantes soieries. Elle est regardée et enviée… alors, coquette, son cœur bat encore plus fort. Ce cœur, les Lyonnais le connaissent particulièrement puisqu’il a pour nom : Croix-Rousse. Depuis plus de cinq siècles, dès l’aurore les ateliers s’animent. Dans les rues également s’active un peuple d’ouvrières et d’ouvriers qui ne vivent que pour la soie et de la soie. Comme dans une fourmilière, ces travailleurs vont et viennent, descendent ou gravissent les pentes. Certains tirent une carriole, mais la plupart des rendeurs, utilisent leurs bras comme unique moyen de transport des marchandises. Souvent leur charge est encombrante et lourde mais coûte que coûte, soit au fabricant, soit aux canuts, ils doivent en assurer la livraison. Alors, à mi-pente sur le rebord d’une fenêtre, d’un muret ou bien, entre deux rues, sur le palier d’un gigantesque et raide escalier, les rendeurs s’octroient une brève halte. Prenant toutes les précautions nécessaires pour ne pas poser leur précieux fardeau à même le sol ; le souffle à peine repris, ils poursuivent inlassablement leur chemin. Le travail n’attend pas, l’argent non plus ! […]

Console rue de la carrière Lyon 9èmeHeureusement pour eux, un homme va leur venir en aide. En effet, dans les années 1920, le conseiller municipal Elie Vignal se prend de compassion pour ces ouvrières et ouvriers. Les difficultés qu’ils endurent sont telles qu’elles retiennent l’attention de ce bienfaiteur de l’humanité.

Aux élections de décembre 1919, il est élu conseiller municipal du 6e arrondissement et en 1920, au cours d’un conseil municipal, il évoque l’endurance supportée par les nombreux porteurs de charges lourdes,  tels les rendeurs en soierie. Il propose alors, au maire Edouard Herriot, la réalisation de consoles de repos. Le maire de Lyon, très attaché à la soierie lyonnaise, entérine cette demande. Ce nouveau mobilier urbain, réalisé en fer forgé, est de belle facture et surtout très commode. Elles seront installées judicieusement sur les parcours les plus fréquentés. C’est ainsi que fleurirent, à partir de 1921, une trentaine de consoles de repos réparties sur les 1er, 5e et 6e arrondissements.

Console montée de la SarraFixée au centre de la console, une plaque émaillée porte l’inscription : « Ville de Lyon - Console de repos pour colis ». Le vandalisme aidant, ces plaques signalétiques ont aujourd’hui totalement disparu.

Quant aux consoles de repos, elles-mêmes, au bout d’une cinquantaine d’années elles finiront par disparaître à leur tour, au fur et à mesure des transformations urbaines. Actuellement trois ont résisté. Elles sont visibles : montée de la Sarra, rue de la Carrière et rue de la République (anciennement implantée rue de la Bourse). Hélas, cette dernière sert chaque jour de parking à vélos, une véritable désolation au regard de ce mobilier patrimonial.

À Lyon, plus personne ne se souvient d’Elie Vignal. Il fut pourtant président du Conseil de Prud’hommes et fondateur, vers 1924, du Syndicat des employés de soierie. Après un mandat électoral, il quitte Lyon pour s’installer avec sa famille à Caluire-et-Cuire. Résistant, durant la dernière guerre, il est nommé, en 1944, conseiller municipal par le Comité de Libération. Dans la foulée, Elie Vignal est élu maire de Caluire-et-Cuire. Il le restera jusqu’à sa mort survenue le 5 décembre 1964.

Bien qu’Elie Vignal soit totalement oublié de Lyon et des Lyonnais, sa mémoire est heureusement honorée par la commune de Caluire-et-Cuire où son nom est attribué à une avenue, un square et un collège.

Dorénavant et grâce à ce modeste hommage, lorsque vous apercevrez l’une de ces dernières consoles de repos, contemplez-la, tout en ayant une pensée pour l’Ardéchois de naissance, mais le Lyonnais de cœur : Pierre Henri Elie Vignal. (1885-1964)