Episodes de 6 à 10
Les épisodes sont classés du plus récent au plus ancien soit de 10 à 6 au fur et à mesure de leur création
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Episode 10 - La mauvaise rencontre
Il ne faut jamais juger les gens sur leurs fréquentations.
La preuve, les amis de Judas étaient irréprochables.
Felix Benoît
Où Pinocchio parce qu’il est encore un perdreau de l’année, va se faire enfumer.
Pinocchio n’avait pas parcouru cinq cents mètres qu’il rencontra deux ‘’personnages’’, enfin je sais pas comment dire car des bestioles qui jactent comme des humains, t’en croise pas à tous les coins de rue.
Aujourd’hui tu racontes ça à des minots qui vivent la console à la main, ils vont te demander si c’est des zombies, des gobelins, des squelettes armés de bombes, des géants, façon Hulk, j’en passe et des meilleurs. Mais heureusement ils ont vu les ‘’Gardiens de la Galaxie’ et tu peux encore les surprendre.
Sa route venait de croiser un Renard clopinant sur trois pieds et un Chat aveugle qui se trimbalaient, s’aidant l’un l’autre, comme deux compagnons d’infortune. Le Renard boiteux et sa canne s’appuyait sur le Chat aveugle qui se laissait guider par son camarade.
– Bonjour Pinocchio, dit le Renard en le saluant gracieusement.
– Comment connais-tu mon blase ? S’interloqua la marionnette.
– Je connais bien ton papa.
– Tu l’as vu ?
– Pas plus tard qu’hier. Il était sur le pas de sa porte.
– Que faisait-il ?
– Il avait juste sur lui sa liquette, il faisait frisquet et il était tout greloteux.
– Pauvre papa ! Mais par Sainte Marie Alacoque, je promets qu’à partir de désormais incessamment bientôt sous peu, il ne tremblera plus.
– Tu peux m’affranchir ? Sournoisa le Renard.
– C’est simple, je suis devenu un mec qui en jette !
– Un mecton à la redresse, Toi ! Le Renard ne put s’empêcher de se poiler, du genre goguenard, peu flatteur, tandis que le Chat rifougnait en loucedé et pour qu’on ne s’en aperçoive pas, il se lissait les poils de sa moustache avec ses pattes de devant.
– Il n’y a pas de quoi se payer ma trombine, ronfla Pinocchio, piqué au vif. Désolé de vous avoir interpellés, mais si vous êtes aussi marioles que ça, lorgnez et dites-moi donc ce que vous pensez de ces cinq nap’s !
Et il montra aux deux artoupans, le cadeau de Mangiafoco. Esgourdant le tintinnabulement des pièces d’or, Renard tendit machinalement sa patte malade, tandis que Chat ouvrit tous grands ses quinquets verts qui brillaient comme des lumignons, sur la fenêtre d’un gone lyonnais le soir du huit décembre. Mais ils se reprirent très vite de sorte que Pinocchio ne s’aperçut de rien.
– Saperlotte, c’n’est pas de la quincaille, et que comptes-tu faire de ces picaillons ? S’enquit Renard.
– Pour commencer, répondit la marionnette, je vais attriquer pour mon papa, un chouettos manteau neuf, tissé de fils d’or et d’argent qu’un maître tailleur fabriquera avec la pièce réalisée sur son bistanclaque-pan, par l’un des meilleurs dessinandiers et canuts de la Croix-Rousse. La vagnotte aura des boutons en nacre de Tahiti de celle d’huîtres noires de l’espèce pinctada margariféra, cultivées principalement dans les lagunes des atolls de la Polynésie française. Elles ont de merveilleuses nuances changeantes dans tous les tons de gris, mais aussi du blanc, de la fumée de Londres à celui plus argenté clair et irisé. Après, je m’achèterai un abécédaire.
– Un abécédaire ? Pour toi ?
– Exactement, je veux aller à l’école et me mettre à étudier pour de bon.
– C’n’est pas la meilleure des idées, déclare Renard, regarde-moi, j’ai perdu une patte pour avoir eu la folle passion des études.
– Et moi je suis devenu aveugle pour la même raison, renchérit le Chat.
Pendant ce temps, un merle blanc s’était posé sur une haie au bord de la route. Il siffla, à l’intention de Pinocchio :
– N’écoute pas ces deux lascars, ils sont en train de t’entuber et tu vas le regretter.
Pauvre volatile ! Il aurait mieux fait de fermer son bec. Le Chat d’un seul bond lui sauta dessus et en moins de temps qu’il n’en faut à Arturo Brachetti le transformiste pour se métamorphoser en Blanche-Neige, il avala le merle d’une seule bouchée, plumes comprises ; puis, une fois l’oiseau mangé et son museau nettoyé, le Chat ferma les yeux et refit l’aveugle, comme si de rien n’était.
– Pauvre merle ! Couina Pinocchio, pourquoi as-tu été aussi cruel avec lui ?
– Bien fait pour sa tronche, répondit le félin, il n’avait qu’à s’occuper de ses oignons.
Ils étaient à mi-parcours quand Renard, brusquement stoppa des deux fuseaux et demanda à la marionnette...
Fin de l’épisode, à suivre...
Que demanda Renard ?
Réponse A – Confie-moi tes napoléons, nous ne sommes pas loin du Casino « Le lion vert », j’ai une martingale d’enfer et je vais multiplier tes pièces.
Réponse B – Suis nous au pays des Nigauds, c’est le troisième chemin à droite, il y a un champ avec des arbres magiques ; en une nuit tu vas gagner de cinq à deux milles sequins.
Réponse C – À deux lieues d’ici, crèche un copain du nom de Cagliostro, un alchimiste réputé qui transforme le plomb en or. Tu lui confie une pièce, il la mélange dans son creuset avec un kilo de plomb et tu te retrouves avec un lingot d’or d’un kilo.
Réponse D – Il faudrait être sûr que ta joncaille ne soit pas de la fausse monnaie, un receleur de mes amis vient de sortir de la Santé où il s’en est refait une. C’est une pointure, il va te confirmer la valeur des napoléons.
Glossaire :
– Un mec qui en jette – C’est quelqu’un qui a de l’allure, élégant et au port altier.
– Se poiler ou se poêler – C’est bien sûr se tordre de rire ; se poiler est plus couramment utilisé et il règne une incertitude sur l’origine : soit à partir de poil (l’idée de se tortiller) ou poêle à cause du dicton ancien : c’est la poêle qui se moque du chaudron !
– Quinquets, ou calots – une des nombreuses dénominations pour les yeux ; comme de bien s’accorde si on dit boules de loto ou gobilles, cela évoque des yeux ronds et exorbités et les mirettes sont surtout des yeux de femmes quant aux vasistas, cela suppose qu’il s’agit d’yeux grands ouverts...
– Bistanclaque-pan : terme lyonnais, onomatopéique pour le bruit que fait le métier à tisser Jacquard en fonctionnement.
– Dessinandier : en canuserie lyonnaise, c’est celui qui exerce la profession de dessinateur pour la confection des pièces de tissu en soie.
– Entuber – tromper, escroquer, c’est aussi un terme plus ‘’léger’’ pour dire, parlant par respect, sodomiser ou enculer.
– Fuseaux – il s’agit des jambes généralement maigres, et stopper des deux fuseaux, signifie qu’on s’arrête brusquement sur place.
– Joncaille ou jonquaille qualifie tout ce qui est en or, principalement les bijoux : pour le lingot d’or on utilisera plutôt lingue ou barre de chocolat.
Episode 9 - Mangiafoco et Pinocchio, l'entente cordiale
Un psychanaliste est un homme qui va au Crazy Horse Saloon et qui regarde les spectateurs
Alphonse Boudard
Où Pinocchio se montre courageux ce qui lui confère la reconnaissance de Mangiafoco.
Arlequin susurra dans l’oreille de Pinocchio :
– Arrête de sangloter à t’en déponteler le corgnolon, le maître vient d’éternuer, c’est bonnard, ça signifie qu’il ressent de la compassion pour tézigue. Je te le dis recta, t’es sauvé.
C’est à chacun son truc, tous les mectons, chouignent ou essuient leurs larmichettes quand ils éprouvent de la pitié, Mangiafoco, lui, éternuait. C’est sa façon de montrer qu’il avait du cœur. Comme le montreur de marionnettes ne voulait pas passer pour une chiffe molle qui se laisse mener par le tarbouif, aussi choisit-il de recommencer à jouer les peaux de vache et grommela à l’adresse de Pinocchio :
– Cesse de chialer ! Toutes ces lamentations ça me donne juste envie d’y aller au quadrille des mâchoires et d’ailleurs je sens... atchoum, atchoum !
– À vos souhaits ! dit Pinocchio.
– Merci ! Dis-moi, ton daron et ta daronne sont-ils toujours vivant ?
– Papa, oui, mais je n’ai jamais connu ma miman.
– Évidemment, évidemment... ce serait vachard de le rendre triste, ton vioque, si je te faisais griller sur mon barbecue. Pauvre homme ! Pour de vrai, je compatis ! Atchoum, atchoum, atchoum !
– À vos souhaits ! Rebriqua Pinocchio.
– Merci ! Mais je me trouve le cul entre deux chaises car, te jeter dans le feu, c’eut été chouettos. Je n’ai plus de bois pour finir de faire cuire ce mouton. Je suis désolé vois-tu, mais il faut que je te remplace par l’une de mes marionnettes.
– Holà les argousins !
Aussi longs qu’un jour sans pain, maigrichons comme un mannequin de mode, bicorne sur le ciboulot, deux gendarmes rallégèrent illico presto. Le marionnettiste, d’une voix caverneuse ordonna :
– Agriffez-moi cet Arlequin, saucissonnez-le bien et balancez-le dans le feu. Je veux que mon rôti soit réussi !
Imaginez la trombine du pauvre Arlequin ! Il avait tellement les foies que ses guibolles plièrent sous lui et qu’il s’abousa par terre. Scotché par ce spectacle, Pinocchio de nouveau pissa de l’œil ; il se jeta au pied du marionnettiste en inondant sa barbe de ses pleurs et supplia :
– Pitié, Monsieur Mangiafoco !
– Je ne zieute pas de monsieur, icigo ! grogna le marionnettiste.
– Pitié, Monsieur le Chevalier !
– Il n’y a pas de chevalier non plus !
– Pitié, Monsieur le Commandeur !
– Où vois-tu des commandeurs ici ?
– Pitié Excellence !
Cette fois, bichant comme un vieux pou de se voir affublé du titre d’Excellence, le montreur de marionnettes devint guimauve et demanda à Pinocchio d’une voix douce et mielleuse.
– Et bien, que veux-tu ?
– Je demande la grâce pour ce pauvre Arlequin.
– Il n’y a pas grâce qui tienne ! Je t’ai épargné et il faut bien que je puisse bouloter et je dois balancer Arlequin dans le feu pour que mon mouton soit bien doré.
– Il n’y a pas de lézard, je sais où se trouve mon devoir. Me voici, messieurs les gendarmes, prenez-moi et jetez-moi dans les flammes, il n’est pas juste qu’Arlequin paye à ma place !
Une telle déclaration clamée haut et fort déclencha des torrents de larmes de toutes les marionnettes présentes comme des deux pandores dont on prétend qu’ils ont un cœur de bois alors que le leur était d’artichaut, je crois.
Mangiafoco voulut rester aussi froid que l’intérieur d’un frigo, mais quatre ou cinq éternuements lui firent ouvrir les bras et c’est la goutte au nez qu’il déclara à Pinocchio :
– Tu es un petit gone bien artet et démenet et pas un dégonflé. Viens me taper la bise.
Pinocchio se jeta dans ses bras grimpant le long de la barbe comme Tic et Tac les écureuils, puis il coqua la miaille du marionnettiste.
– Je suis gracié ? Quémanda d’une voix chevrotante Arlequin toujours pas rassuré.
– Gracié ! répondit Mangiafoco qui soupira, opina du bonnet et ajouta :
– Tant pis ! Aujourd’hui je mangerai un mouton mal cuit.
Notre pantin intervint alors :
– On n’va pas te laisser dans la boucane, file-moi ton portable, je vais passer un coup de bigophone à Kiloutou, un estanco que j’ai vu sur le bord de la route en arrivant.
Quelques minutes plus tard un livreur apporta une rôtisseuse maousse-costaud à faire cuire un bœuf et qui fonctionnait avec une bombonne de gaz. Et ainsi le montreur de marionnettes put s’empiffrer d’un mouton doré et bien grillé, tandis que les marionnettes firent la fiesta jusqu’au bout de la nuit. Le lendemain Mangiafoco prit Pinocchio à part et lui demanda :
– C’est quoi le blaze de ton daron.
– Geppetto.
– Et c’est quoi son turbin ?
– Un boulot de pauvre.
– Est-ce que ça rapporte du flouze ?
– Suffisamment pour n’avoir jamais un picaillon en poche. Même qu’il a dû vendre sa vagnotte toute rapiécée pour m’attriquer l’abécédaire de l’école.
– Il est fauché comme les blés !!! ça me file la lourde. Tiens je te refile cinq napoléons. Pars tout de suite les lui porter et fait lui cinq sous de ma part.
Pinocchio tu t’en doutes, remercia chaudement le marionnettiste et tapa la bise à toutes les marionnettes et aux gendarmes avant de s’enquiller sur le ruban en direction de sa cambuse. Il n’avait pas fait cinq cents mètres qu’il...
Fin de l’épisode, à suivre...
Quoi t’est-ce donc qu’il arriva ?
Réponse A – Il va faire demi-tour, demander à Mangiafoco d’envoyer un émissaire avec les louis d’or chez son père et il signa un contrat d’embauche avec la troupe.
Réponse B – Il va décider de ne garder qu’une pièce et de placer les trois autres chez l’écureuil contre une rente viagère pour Geppetto.
Réponse C – Il va rencontrer un renard infirme et un chat aveugle qui sont en fait des arnaqueurs et détrousseurs de grands chemins.
Réponse D – Il va se diriger vers le casino « Le Lyon vert-de-gris » pour jouer à la roulette persuadé qu’il a la baraka et qu’il va faire sauter la banque.
Glossaire :
Sangloter à s’en déponteler le corgnolon – en lyonnais c’est pleurer violemment à s’en étrangler et se faire mal au gosier.
Bonnard – ce dit en argot d’une chose qui se présente bien. Par contre pour une personne, être bonnard, c’est être trop bon, crédule, naïf.
Chougner ou chouigner – en lyonnais c’est pleurer en poussant des cris comme un petit porc qui se dit choun.
Tarbouif – désigne le nez, mais un nez turgescent comme celui d’un poivrot ; ce pourrait être un mot formé de l’argot tarin et de bouif (cordonnier). Alphonse Boudard créateur du vocable a-t-il été un « amateur » du théâtre de Guignol auquel cas il se serait inspiré de Gnafron le regrolleur au nez rouge vinasse.
Y aller au quadrille des mâchoires – une expression digne d’Audiard pour désigner celui qui mange de bel appétit avec une exceptionnelle force de mastication ; Jean Gabin utilisa cette formule dans une interview restée célèbre à propos de Lino Ventura qui était un maître dans l’art de dégringoler de la croque.
Vachard – dur et sévère ; en argot c’était autrefois le sobriquet pour désigner un paresseux et un resquilleur. Les mots vivent et évoluent changeant de sens.
Agriffer – prendre, accrocher et par extension appréhender.
Guibolles ou guiboles – les jambes, un mot devenu usuel ; jouer des guibolles c’est à la fois s’enfuir ou danser.
Pisser de l’œil pleurer et pisser du nez, saigner.
Il n’y a pas de lézard – pas de tricherie ; le lézard est un faux camarade, un escroc qui triche, une difficulté, un empêchement.
Artet et démenet – en lyonnais, c'est être bien comme il faut et dégourdi.
Dégonflé – celui qui perd son courage par crainte ; ce mot est entré dans le langage usuel ; cette métaphore du verbe original se dégonfler est pareille que pour déballonné.
Laisser dans la boucane – laisser quelqu’un dans l’ennui ; la boucane ce sont aussi les excréments et donc parlant par respect c’est laisser quelqu’un dans la merde.
Avoir la lourde – nous voici dans une expression du "gaga stéphanois". Elle est bien employée à Lyon pour signaler que l’on est mal dans sa peau, mal à l’aise et elle est très utilisée les lendemains de cuite...
Episode 8 - Mangiafoco
Les bons crus font les bonnes cuites
Maximes – Pierre Dac
Où Pinocchio rencontre d’autres marionnettes mais pourrait bien partir en fumée
Arlequin s’arrêta soudain de jouer. Il se ramena devant la scène, pique-plante face au public. Il tendit son doigt en direction du fond de la salle et beurla avec emphase.
– Nom d’un p’tit cheval de bois, j’n’en crois pas mes quinquets ébaubis ! N’est-ce pas mon pote Pinocchio que je zieute icigo ?
– Cré tonnerre de Zeus, c’est bien lui, en bois dont on fait les flûtes rajouta Polichinelle à son tour. -
– C’est pas Dieu Poss’, mais oui c’est le petit dernier de notre confrérie, quincha madame Rosaura en traversant le décor.
Toutes les autres marionnettes, giclant des coulisses se pointèrent à leur tour en scandant :
– Pinocchio, Pinocchio, vive notre frangin, vive Pinocchio !
Interloqué, celui-ci traversa la salle de spectacle en sautillant sur les têtes et les épaules des spectateurs. Il se retrouva au milieu de la troupe qui lui prodigua de grandes marques d’amitiés comme seule une fraternité sincère peut en inspirer. C’était trognon à en verser une larmichette, mais le public n’en avait rien à cirer et il réclamait à corps et à cris :
– La suite, la suite !
Mais que nenni, rien ne semblait devoir interrompre l’euphorie qui s’était emparée des têtes de bois. C’est alors qu’intervint le marionnettiste.
Je conseille aux âmes sensibles, aux cardiaques et aux femmes enceinte de s’éloigner... C’est fait ! Ok je poursuis.
Nous vîmes donc arriver sur la scène, un gus à la stature colossale, du genre Hulk, la couleur verte en moins. Il était si laid qu’à le zieuter, tu pourrais avoir la nausée ou bien calancher, le trouillomètre à zéro. Il était affublé d’une barbe noire comme de l’encre et si longue qu’il s’emmêlait les pinceaux dedans lorsqu’il marchait. Il avait la boite à mensonges aussi large que le four de ta gazinière, et des lampions plus rouges et brillants que ceux d’un lapin albinos. Il se déplaçait côté cour et côté jardin en faisant claquer son fouet ; pas celui d’Indiana Jones, non, celui-là était tressé de peaux de serpents et de queues de renards.
Qu’un mecton pareil puisse exister, c’est limite et donc à son arrivée, le boucan cessa brusquement. Public ou marionnettes, chacun retenait sa respiration et nous pourrions entendre une mouche voler si les diptères n’avaient pas elles-aussi mis les bouts. Pas de claquements de mandibules non plus, les vioques ayant retiré leurs dentiers, les planquant dans leurs fouilles. Tout le monde tremblait en silence.
– Par tous les chiens de l’enfer, c’est quoi ce raffut du diable (chiens de l’enfer, raffut du diable, je soigne mes métaphores, non !) ?
– Qu’est-ce qui te prend de foutre le souk dans mon théâtre ? S’adressa le marionnettiste à Pinocchio, d’une voix d’ogre qu’aurait chopé un bon rhume de cerveaux.
– Il y a gourance de blaireau, répondit ce dernier, je suis responsable mais pas coupable comme disent les z’hommes politiques ; promis, juré, craché, c’est pas mézigue qui a déclenché le chabanais.
– Suffit, inutile de me bourrer le mou ! Nous règlerons nos comptes ce soir.
Ce n’étaient pas des paroles en l’air car le spectacle terminé, le marionnettiste se rendit à la cuisine où, en guise de casse-dalle, il s’était préparé un mouton entier qui cuisait lentement à la broche. Arnouchant qu’il manquait de bois pour parachever la cuisson afin que la bestiole soit bien dorée, il appela Arlequin et Polichinelle :
– Apportez-moi la marionnette que j’ai accrochée au clou ; il est fait d’un bois bien sec et fera une bonne flambée pour mon rôti.
Les deux pantins hésitèrent, mais un méchant coup d’œil de leur patron les fit obtempérer. Peu après, ils revinrent portant le pauvre Pinocchio qui se débattait comme une anguille sortie de l’eau et beurlait désespérément :
– Papa, papa sauve moi ! Je ne veux pas rejoindre la grande faucheuse, je ne veux pas dépoter mon géranium !
Le montreur de marionnettes Mangiafoco (c’était son blase qui signifiait Mange-feu) avait toutes les apparences d’un mec terrifiant, surtout avec cette barbe noire qui lui faisait office de tablier et lui recouvrait entièrement la cage à soufflets et les guiboles. Mais dans le fond, c’n’était pas le mauvais zig. En voyant Pinocchio se débattre, hurler, gicler des mirettes, implorer grâce, il fut désappointé, troublé et ressenti même de la pitié pour la pauvre marionnette. Il hésita, réfléchit un bon moment puis, ne se contrôlant plus il finit par émettre un tonitruant éternuement.
Arlequin qui chougnait et ressemblait à un saule-pleureur, changea subitement de physionomie ; il sourit, se pencha vers Pinocchio et lui susurra dans l’oreille...
Fin de l’épisode, à suivre...
Que dit Arlequin à Pinocchio ?
Réponse A – Tiens bon ! Mangiafoco est atteint d’une maladie incurable, l’étouffatchoum-des-foins ; encore un éternuement et il épouse la Camarde.
Réponse B – Si le maître éternue, c’est qu’il s’attendrit ; il va te relâcher.
Réponse C – Dis-lui que tu connais le remède qui guéri les rhinites saisonnières et que tu peux aller lui chercher les plantes à infuser.
Réponse D – Fais-le s’approcher du feu. Au prochain éternuement sa barbe va cramer et lui avec, nous pourrons alors, tous, retrouver la liberté.
Glossaire :
Boite à mensonge – comme la boite à dominos, c’est la bouche : les dominos ce sont les dents et la boite à dominos, c’est aussi le cercueil, les dominos symbolisant ici les os. Pour cercueil, je préfère donc, boite à viande ou à asticots.
Lampion – couramment c’est l’œil, mais c’est aussi un verre d’eau-de vie et c’était :
1- un sergent de ville car le lampion désignait ici le tricorne d’un militaire, d’un cavalier ou d’un sergent de ville !
2- un inspecteur de la police des jeux (utilisé à Lyon) !
3- une voiture postale (utilisé à Paris lorsque les postillons des voitures postales portaient un haut-de-forme appelé lampion).
Raffut – Grand bruit ; ce mot d’argot est entré dans le langage courant. Il avait pour origine le verbe raffuter qui n’est plus utiliser et qui signifiait, disputer violemment.
Foutre le souk – Mettre du désordre bruyamment. Le souk c’est aussi une boutique, un magasin avec toute sorte d’articles rangés de façon aléatoire et par extension, c’est la chambre en désordre des enfants. Le mot vient des marchés arabes, hétéroclites, bariolés, vivants et bruyants.
Chabanais – Comme raffut, c’est du tapage, du désordre et du scandale. À l’origine, le chabanais était une maison-close (vient d’un célèbre lupanar, rue Chabanais à Paris) et aux cartes, avoir un chabanais, c’est avoir un carré de dames qui donc rapportent...des points !
Bourrer le mou, le crâne ou la caisse – C’est raconter des histoires, des mensonges, bluffer.
Dépoter son géranium – C’est mourir comme rejoindre la grande faucheuse.
Blase ou blaze – Vient de blason, c’est un nom, un prénom ou un surnom, mais ce peut-être aussi un casier judiciaire, un nom commun et aussi...le nez. Les deux mots figurent dans le Larousse et le Petit Robert.
Cage à soufflets – Poitrine, les soufflets étant les poumons.
Guibole ou guibolle – Jambe, le mot vient du normand gibon (prononcer guibon) au XVIIIe et qui désignait la jambe. Guibolle fait désormais partie du langage poplaire courant.
Intermède - La Linotte
Avant-Propos.
Jacques Pessis est un journaliste, écrivain, scénariste, comédien et réalisateur français né le 4 juin 1950. Outre ses activités à la radio, la presse écrite et ses créations de spectacles au théâtre et au music-hall, il est aussi biographe de chanteurs et d’artistes et notamment de Pierre Dac dont il est le légataire universel. Nous lui devons notamment : « Bon baisers de partout », « Malheur aux barbus », « Drôle de Guerre », « Essais, maximes et conférences », « Avec mes meilleurs pensées »
Lorsque chez un bouquiniste je trouvais « La mémoire de Pierre Dac », je pensais : "Serait-ce, une nouvelle anthologie !" Et effectivement bon nombre de textes figuraient dans les ouvrages que je possède, mais j’y ai aussi découvert une perle que je ne connaissais pas, un texte raconté entre autre par Fernandel et que l’on retrouve sur des enregistrements de l’INA car il fait partie du feuilleton radiophonique « Du côté d’ailleurs » une adaptation de son roman que Pierre Dac avait produit et interprété lui-même.
Alors merci, monsieur Pessis de poursuivre votre chemin avec de petites piqures de rappel sur l’œuvre littéraire et radiophonique de celui dont San-Antonio disait : « Je voudrais tant expliquer aux cons et aux jeunes, l’importance de cet homme dans la pensée moderne. Pierre Dac est à l’esprit d’aujourd’hui ce que Charles Trenet est à la chanson. Merci Pierre Dac de nous avoir enfoncé tant de portes ! »
Dans le texte ci-dessous, vous allez découvrir que l’humoriste était un poète capable d’écrire un texte merveilleux et bouleversant, une métaphore sublime sur l’amour.
La Linotte
Née des amours du Rhône et de la Saône, la Linotte, charmante petite rivière, prît sa source un clair matin d'hiver. Gâtée et dorlotée par sa mère la Saône, elle devint vite un charmant ruisselet puis un ravissant petit ruisseau.
" Petit ruisseau deviendra grand" lui murmurait parfois le vent.
En effet, elle grandit et de charmant ruisselet devint une ravissante petite rivière. Ah ! La jolie petite rivière que la Linotte et comme son nom lui allait bien : gracieuse, fine, claire et limpide avec un teint transparent qui lui donnait l’aspect d'infinie pureté. Un peu étourdie aussi. Elle courait, s’étirait, serpentait à travers les vignes, s'asseyant parfois sur un banc de galets pour se laisser aller à la caresse du soleil ; les peupliers sur son passage pleuraient des larmes de joie et d’émotion. La nuit, la lune lui prêtait pour jouer ses plus beaux reflets d'argent et n'omettait jamais de lui laisser en s'en allant, un croissant pour son petit déjeuner. Et puis un jour ...
Un jour qu'elle avait fait une course plus longue que d'habitude, elle aperçut au détour d'un rocher un magnifique torrent qui dévalait à toute allure. Elle s'arrêta, le flot battant, le souffle coupé ...C'était le coup de foudre ! Et la nuit suivante, le beau torrent vint la rejoindre dans son lit. Il la quitta au petit matin avec la promesse de confluer légalement avec elle. Hélas, promesse de torrent, autant en emporte le vent, il disparut et la petite Linotte, inconsolable se mit à dépérir.
Elle devint grise, trouble, puis verte. Des plis, des rides, des sillons flétrirent sa surface jadis si limpide, si pure. En vain, son oncle, le gave d'Oloron lui envoya-t-il ses plus belles pierres, elle s'étiolait de plus en plus. Et puis un matin d’hiver, comme ivre de douleur, rugissante comme une lionne blessée, elle sortit de son lit malgré le froid glacial et fonça droit devant elle.
Elle emporta tout sur son passage : ponts, barrages, troncs d’arbres, tout fut balayé comme fétu de paille .Son père le Rhône, fit un détour pour tenter de lui couper la route. Elle se blottit contre une écluse, se cacha derrière une vallée et courut pour enfin se jeter dans l’Atlantique. Tous les cours d’eau, alertés, par les sirènes et les tritons, se mirent à sa poursuite, mais trop tard. La petite Linotte en une ruée sauvage se jeta dans l'océan qui l'engloutit à jamais.
Le Rhône et la Saône prirent le deuil et se couvrirent de brouillards épais. Longtemps leurs flots demeurèrent noirs et les bateliers se signaient en les entendant gronder. Et quelquefois, en mer, un marin étonné s'écrie :" y'a plus d'courant ici, on dirait qu'on navigue sur de l'eau morte ! "
- Eh oui, brave marin, de l'eau morte. C'est l'âme de la petite Linotte qui remonte de temps à autre pour rappeler aux humains trop sceptiques qu'on peut encore mourir d’amour.
Episode 7 - Le théâtre de marionnettes
J’ai enlevé les deux F du verbe SOUFFRIR, maintenant je vais mieux
Où Pinocchio une fois de plus, ne fait pas le bon choix.
Pinocchio gambergeait à s’en faire péter les boyaux du cerveau. Et comme le dit la maxime : « chassez le naturel et il revient en vélo » le gone conclut :
- L’école c’est tout le temps, mais la fête c’n’est pas fréquent. Aujourd’hui je vais voir ce qu’il y a du côté de la musique et demain j’irai à l’école.
S’enquillant sur le ruban à main droite, il rejoignit en courant la place pleine de gens agglutinés autour d’un grand chapiteau en toile bariolée multicolore.
- C’est quoi cet estanco ? demanda-t-il à un gamin du village.
C’n’est pas pour balancer, mais je fais remarquer ici, qu’il y a au moins deux gones, des bras-neufs qui font craquer les cours, dans cette histoire.
- Tu n’as qu’à lire la pancarte, c’est écrit dessus.
- Faites excuse mon brave, mais si je questionne, c’est que je ne sais pas lire, enfin pas encore.
- D’ac, montes pas au renaud, j’y savais pas que t’étais « à n’alfa bête » (lui, il savait lire, mais pour l’écriture tu repasseras comme on dit à la blanchisserie). Il est écrit en lettres de feu :
« GRAND THÉÂTRE DE MARIONNETTE ».
- Le spectacle a commencé ?
- Il commence.
- Faut cracher combien pour l’entrée ?
- Quatre sous.
Misère à poil (la vérité n’est pas la seule à être nue) se dit Pinocchio, j’n’ai pas un radis, Essayons de négocier.
- Tu pourrais me prêter quatre sous jusqu’à demain ?
- C’n’est pas écrit ‘’la poste’’ rebriqua le gamin en montrant son front.
- Je te vends mon manteau pour quatre sous.
- Tu me prends pour un pigeon, que veux-tu que je fasse d’un manteau en mie de pain ; s’il pleut il va fondre sur moi et me coller de partout.
- Et mes godasses, prends les.
- Elles sont juste bonnes pour allumer un feu.
- Alors mon bonnet.
- Pour que les corbeaux viennent me le becqueter sur le coqueluchon !
Il ne restait plus à Pinocchio qu’une proposition, mais il n’osait pas la proposer. Finalement, l’envie de voir le spectacle l’emporta sur ses scrupules. Il se décida.
- Je te laisse mon abécédaire pour quatre sous, il est tout neuf.
- Désolé, mais je ne commerce pas avec les autre morveux, dit le gamin en le quittant.
- Pour quatre sous, je te le prends, intervint un marchand d’pattes qui avait suivi la conversation.
Aussitôt dit, aussitôt fait, le marché fut conclu et le livre remis à l’arnaqueur qui avait flairé la bonne occase.
Quand tu penses que ce pauvre Geppetto est en train de se geler les arpions et de se cailler les miches pour avoir acheté cet abécédaire à « son fils chéri ». Tu parles d’un chéri, je dirai plutôt un marloupin oui, une arsouille, un bredouillon, un galapian, un grand galavard de seconde zone, il y a vraiment de quoi avoir les boules.
Pinocchio pénétra dans le théâtre de marionnette. Le rideau était levé et le spectacle avait commencé. Sur la scène Arlequin et Polichinelle s’invectivaient, s’envoyant à la figure des noms d’oiseaux comme par exemple :
ou
et pire encore 
(ne répétez pas ces gros-mots à vos enfants), ce qui me fait dire que nous assistons ici à une représentation réservée aux adultes.
Ils s’apprêtaient à se coller quelques bourre-pif et coups de tavelle pour le plus grand plaisir du public qui n’attendait que ça. Les deux marionnettes étaient d’un réalisme tel qu’on les croirait vivantes ; mais ne sommes-nous pas dans un conte ! Brusquement, Arlequin s’arrêta de jouer restant pique-plante face aux spectateurs. Il montra de la main quelqu’un au fond de la salle et se mit à déclamer avec emphase comme dans une tragédie racinienne :
- Dieux du ciel ! Pincez-moi, je rêve ! Aïe ! Mais oui bon sang, mais c’est bien sûr...
Fin de l’épisode à suivre...
Qui a-t-il aperçu ?
Réponse A – l’ami Pierrot qui la veille, lui avait prêté sa plume pour écrire un mot et prêté une lampe de poche vu que sa chandelle était morte et qu’il n’avait plus de feu.
Réponse B – l’ami Guignol sa fenotte Madelon et son copain Gnafron venus taper la bise à leurs cousins de Chignolo Po la commune italienne de la province de Pavie dans la région Lombarde, jumelée avec Brindas près de Lyon.
Réponse C – l’ami Sandrone et son burattinaio (marionnettiste à gaine) Patrizio dall’Argine venu d’Emilie-Romagne, où il triomphe chaque soir, pour assister à la représentation d’ici.
Réponse D – l’ami Pinocchio et ne me demandez pas comment Arlequin le connaît puisque notre pantin n’a que deux jours d’existence ; le miracle de la solidarité des marionnettes !!!
Glossaire :
Monter au renaud – s’énerver ; vient de renauder, rouspéter, utilisé depuis le XVIIe siècle et qui a donné renaud : la colère. Nous avons ensuite : monter au renaud (se mettre en colère), être à renaud (être en colère), mettre à renaud (provoquer la colère) et chercher renaud qui est chercher querelle.
Cracher – au début c’était "avouer" puis le mot a évolué et c’est diversifié de façon souvent métaphorique avec l’idée de débourser ou donner avec plus ou moins de contrainte comme, cracher au bassinet pour "payer sous la pression", cracher le marmot pour "accoucher", cracher le venin pour "éjaculer" (à la différence du français qui signifie dire des méchancetés), cracher blanc, du coton ou de la ouate métaphore pour "avoir soif". Et cracher son embouchure ou son âme c’est mourir. Une curiosité : cracher jaune, c’est être riche.
Marchand de pattes – en lyonnais, c’est un chiffonnier ambulant, vendeur ou acheteur, qui crie à travers les rues pour appeler le client ; on dit aussi patti et il était craint des petits enfants à qui on faisait croire qu’il récupérait les polissons.
Coqueluchon – en lyonnais : sommet de la tête comme cabèche ciboulot ou cabochon.
Marloupin – voyou qui exploite la faiblesse des autres et par extension proxénète.
Arsouille – un voyou, un dévoyé, le mot serait, parlant par respect, un dérivé de l’anglais « arsehole » qui veut dire trou du cul.
Bredouillon – en lyonnais c’est un inconstant qui n’a pas de parole.
Galapian – vaurien, vagabond, toujours en lyonnais et le galavard c’est pareil mais généralement précédé de grand.
Tavelle – tous les petits gones lyonnais le savent, c’est la trique de Guignol.
Episode 6 - l'abécédaire
Quand l'écolier se déshabille de ses habits tombent des billes
Claude Nougaro
Où la marionnette prend un bon départ, la tentation est toujours là
Après que Pinocchio eut retrouvé des ripatons flambants neufs, et comme un foldingo, s’être mis à exécuter pirouettes, entrechats et cabrioles, il dit à son paternel :
– Je n’suis pas un cracheur de bobards et cochon qui s’en dédit, demain j’irai à l’école. Il rajouta :
– Oui, mais je n’peux pas m’y pointer à loilpé.
Geppetto qui n’avait pas d’artiche, lui confectionna un costar en papier à fleurs, des godasses en écorce d’arbre et un galurin en mie de pain. Se mirant et s’admirant comme Narcisse dans une bassine d’eau il fut satisfait de son reflet et se retourna vers son père en roulant des mécaniques.
– N’ai-je pas l’air d’un mec à la redresse quémanda-t-il ?
– C’est bien sûr, mais sache qu’il vaut mieux être sapé proprement sans qu’il soit besoin d’avoir des frusques de luxe pour être un mec bien.
– Au fait, sans me faire une pendule de gamberge, remarqua le gamin, il me manque l’article de base pour aller m’instructionner.
– Quoi t’est-ce donc ?
– J’n’ai pas d’abécédaire.
– Bon sang, mais c’est bien sûr fils, mais comment s’en procurer un ?
– Il suffit d’en attriquer un ! Allons dans une librairie !
– J’n’ai pas d’oseille et toi non plus, rebriqua Geppetto la mine renfrognée.
Quand c’est la dèche, c’est la dèche. L’ambiance était plombée et tous deux se morfondaient en silence lorsque Geppetto beurla :
– Attatends ! Il se leva, enfila son vieux manteau et sortit à toute berzingue de la carrée. Lorsqu’il rallégea, il tenait joyeusement un abécédaire qu’il tendit à son fiston. Par contre, il n’avait plus de manteau alors que dehors il faisait frisquet à faire claboter la petite fille aux allumettes d’Andersen.
– Qu’as-tu fait de ton manteau mon pipa !
– Je l’ai vendu.
– Mais pourquoi ?
– Il me tenait trop chaud et me gênait aux entournures.
– Pinocchio en eut le cœur gonflé comme un bol de riz trempé. Il venait de comprendre le geste de son père et se jeta à son cou, le couvrant de bisous.
Le lendemain matin, pour prendre des forces, le gamin s’enquilla son bol de benco.
J’aurai bien dit de banania, y’a bon, mais aujourd’hui, faut faire gaffe au moindre mot pour ne pas se faire taxer de raciste et de colonialiste. Après plusieurs années de procédure, la société Nutrimaine avait enlevé en 2005 le slogan « Y’a bon » qui faisait polémique.
A gauche la pub 1950 et à droite celle de 2017.
Y avait-il de quoi s'offusquer !!!
Sans polémiquer à mon tour, ou plutôt si : je veux bien être Charlie en acceptant la caricature de Mahomet, mais alors je suis aussi Banania ? Un non-voyant d’aujourd’hui n’est-il pas avant tout un aveugle d’hier et un malentendant reste un sourd ; tu vas voir que demain tu ne pourras plus traiter un con que de non-comprenant et peut-être même qu’un pauvre ne sera plus qu’un non-riche.
Ne sommes-nous pas en train de marcher à coté de nos godasses ! Mais poursuivons plutôt !
Je n’ai pas non plus écrit ‘’poursuivons pluto’’ pour ne pas me faire accuser de chasser le chien de Mickey et être poursuivi à mon tour.
Son abécédaire sous le bras, et le temps étant devenu plus doux, il se mit en route en prenant le chemin qui mène à l’école. Tout en marchant, son esprit battait la campagne. Il construisait mille châteaux en Espagne, un peu comme la laitière de La Fontaine qui allait au marché, sa berthe sur la tête, habillée ras la touffe, maquillée ripolin. Il songeait :
– Aujourd’hui à l’école j’apprendrais à lire ; demain j’apprendrai à écrire ; après-demain je saurai compter. Grand érudit, je serai riche et avec mes premiers picaillons, j’attriquerais à mon pipa un beau manteau de drap, que dis-je de drap ? Il sera tissé de soie, d’or et d’argent par les meilleurs canuts de Lyon et les boutons seront en nacre le plus pur. Le pauvre homme le mérite amplement, lui qui, pour que je m’instruise, se retrouve en bras de chemise en pleine caillante ! Seuls les pipas sont capables de faire ses choses-là.
Il en était là, des cogitations de ses boyaux du cerveau, lorsqu’il entendit au loin le son de fifres et de tambourins : zim, boum, boum ! Il se planta sur ses fumerons pour mieux esgourder. La musique venait d’une longue route qui croisait la sienne et conduisait à un petit patelin en bord de mer.
– Nom d’un rat ! Qu’est-ce donc que cette musique ? Dommage que je doive aller à l’école, sinon...
Ça fumait sous son carafon et il était aussi perplexe qu’une poule pique-plante devant une bourse pleine d’or. Une poule au sens propre, un gallinacée à plumes quoi ; pas à poil au sens figuré, une...
– Non ! Je n’ai rien dit : fenottes je vous aime !
Fin de l’épisode, à suivre...
Que va décider Pinocchio ? :
Réponse A – Il va s’en tenir à sa promesse et se rendre sans hésiter à l’école.
Réponse B – Il va jeter une pièce en l’air ; pile il va à l’école, face il se dirige vers la musique.
Réponse C – Il se dit que l’école s’est toute la semaine alors que la fête et le spectacle c’est une occasion.
Réponse D – Il va se retrouver face à la Fée Bleue qui va lui montrer avec sa baguette magique le bon chemin à prendre.
Glossaire :
Cracheur de bobards – menteur invétéré.
À loilpé – En largonji, ne pas confondre avec le verlan, tous les mots commencent par un l suivi d’un mélange ou modification des lettres ; ce n’est pas un lexique complet mais un code de certains parler professionnel. Nous avons ainsi à loilpé pour à poil, lardeuss pour pardessus, en loucedé pour en douce, laxé pour sac qui est ici l’argot pour dire mille francs (donc pas un sac normal)...
Mec à la redresse – un chef au sens général, celui qui commande un groupe.
Sapé – habillé correctement souvent avec un complet, un costume, sinon on dit mal sapé ; à la différence de fringué ou de frusques qui concernent tous les vêtements ; on dit donc mal sapé pour fringué ou bien fringué et bien frusqué pour sapé. Le parler argotique est plus précis qu’on ne le croit.
Se faire une pendule de gamberge – c’est vraiment se torturer la cervelle, trop réfléchir.
Attriquer – usage courant pour acheter, déjà utilisé. Oseille – fric, pèze, flouze, artiche, pognon, braise... les mots ne manquent pas pour désigner l’argent, mais chacun s’emploie dans un contexte précis pour les puristes de la langue verte ; ainsi la braise s’est de l’argent qui brûle et file entre les doigts de celui qui en a ; l’artiche c’est surtout une somme importante en billets comme les feuilles d’un artichaut...
Dèche – misère : bel exemple d’un mot qui est entré dans le dictionnaire courant et qui vient de déchet car ne posséder que des déchets, s’est bien être dans la misère ; vient aussi de déchoir qui signifiait perdre au jeu et bien sûr celui qui avait tout perdu dans un tripot clandestin se retrouvait dans la misère.
Attatends – typiquement lyonnais où rajouter un préfixe consiste à accentuer le fait ou comme arregarder ou arreluquer c’est intensifier l’action.
À toute berzingue – à toute allure vient de berzingue qui voulait dire ivre dans le sens de l’exaltation !
Claboter – un mot de plus pour mourir et s’emploie souvent pour mourir de froid ou sur la place publique d’où mon rajout de la petite fille aux allumettes.
Pipa – terme lyonnais affectueux pour dire papa ou petit père en parlant d'un vieillard estimé ; le pipa Claudius qu’à défunté la semaine dernière était tellement de bon command, que tout le quartier de Vaise l’avait accompagné jusqu’à Loyasse (célèbre cimetière lyonnais comme le Père Lachaise parisien).
Picaillons – s’emploie au pluriel, mot lyonnais toujours usité pour les sous, de l’argent mais pas une seule pièce.
Carafon – c’est la tête, mais surtout le sommet et là où se tient le cerveau car un mauvais carafon est synonyme de mauvais caractère, tête dure ou de cochon.
Pique-plante – en lyonnais : être debout sans bouger ; une belle métaphore pour dire planté comme un piquet.
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