Épisode 7 à 9
Épisode 7 - L'entente cordiale
Un imbécile qui se tait n’est pas très différent d’un intellectuel qui ne dit rien.
Jean-Marie Gourio « Brèves de comptoir »
Où la princesse et les rase-moquettes décident de cohabiter sans qu’elle soit la boniche.
(Ce n’est pas que je sois contre la version originale qui reflète les mœurs de l’époque, mais je ne veux pas me mettre mal avec les féministes, et puis nous sommes au vingt et unième siècle que diable !)
Pour les ceusses qui chipotent et pensent qu’on leur joue du pipeau, voici ce que les nains avaient déclaré à Blanche-Neige dans la version originale :
- Si tu veux t'occuper de notre ménage, faire à manger, faire les lits, laver, coudre et tricoter, si tu tiens tout en ordre et en propreté, tu pourras rester avec nous et tu ne manqueras de rien.
- D'accord, d'accord de tout mon cœur, dit Blanche-Neige. Et elle resta auprès d'eux. Elle s'occupa de la maison. Le matin, les nains partaient pour la montagne où ils arrachaient le fer et l'or ; le soir, ils s'en revenaient et il fallait que leur repas fût prêt.
A l’époque des frères Grimm, les jeunes filles étaient éduquées pour tenir la maison et elles étaient interdites d’études supérieures. Vous pensez bien que si j’écrivais cela aujourd’hui, je me ferais laminer, huer, griffer ; Femme Actuelle écrirait un article en me déclarant grand prêtre de l’inquisition, roi du machisme éculé (et je reste correct), chantre de l’évêque Cauchon qui a œuvré pour que Jeanne d’Arc redevienne une femme au foyer. Bref, ce serait un tollé général.
Que mes lectrices (que j’embrasse) se rassurent, notre Blanche-Neige n’est pas une oie blanche, ni une dévergondée, mais une jeunesse de notre temps, bien dans ses baskets. Revenons à notre histoire.
Cosinus a lui-aussi entendu de petits ronflements venant de l’étage. Il jaspine :
- M’est avis qu’il s’agit plutôt d’un ronronnement de minette ; laissons pioncer celle qui nous a chiadé cette succulente soupe aux choux. Il se fait tard et il nous faut éponger l’apéro ; commençons par tortorer, nous aviserons ensuite de la conduite à tenir.
Tous acquiescent. Ils récitent leurs grâces, car ils sont protestants, et posent leurs miches sur leurs chaises. Ils briffent une bonne ventrée de soupe, un morceau de lard, se tartinent un chouia de fromage fort sur une belle tranche de pain et finissent leurs agapes avec un saladier de cerises burlat. Le silence n’est interrompu que par de grands slurps, le claquement des menteuses, et les petits ronronnements cadencés de la princesse.
Les gamelles vides, la brioche tendue à s’en péter la sous-ventrière, la ceinture décrantée, ils se sentent bien benaises. Chacun rote bruyamment ou pète pour les plus délicats ! Après avoir plié leurs opinels qu’ils mettent dans l’étui accroché à leurs falzars, ils placent leurs couverts dans le lave-vaisselle puis rangent leurs torche-babouines dans leurs casiers respectifs.
- Allons z’enfants de la fratrie ! Jabille Cosinus qui a fait son service militaire dans le génie à Lille avec le caporal Rouget, un chanteur engagé, il convient à présent d’aller présenter nos hommages à la donzelle (il avait lu tout San Antonio qui, dans ce volume quatre disait : « ce qui me contrarie le plus, ce sont les ouatères de wagons de seconde classe, le poisson mal cuit, les jeunes filles de plus de quatre-vingt-dix-sept ans et les liaisons mal-t-à-propos » Un philosophe !). Ils grimpent l’escadrin en rang d’oignons et arrivé sur le palier, Cosinus délourde doucement. Les prèsdusols s’encadrent dans l’entrée de la chambrette et arregardent Blanche-Neige. Rêveur qui connait lui, tout le répertoire de Fernandel, chantonne :
- ? Elle est belle, elle est mignonne, ? c’est une bien jolie personne, ? avec son chignon qu’est toujours bien coiffé ...
La princesse se désensommeille, s’étire gracieusement, entrouvrant ses mirettes. Elle zieute les nains et, surprise au déballage, sort de son sac Vuitton, sa poudre de riz pour son pifounet, puis son blush pour colorer ses joues. C’est vrai qu’elle est bien croquignolette la mominette. Les nains qui ont reçu une éducation puritaine, sont très vieille France et conventionnels ; aussi, ceux qui ont encore leur bitos sur le ciboulot, l’ôtent et tiennent leur galurin à la pogne.
Cosinus commence par présenter ses potes à la gisquette qui cloque un bécot sur leur front en peau de fesse, ce qui les fait frétiller de contentement. Même Grisbi qui d’ordinaire n’apprécie guère les épanchements, en esquisse un sourire. Cosinus l’invite ensuite à les rejoindre au salon-bibliothèque. Hercule et Dandy approchent près de la cheminée un canapé Chesterfield biplace en cuir vert olive en invitant la gosseline à prendre place. Dynamite ravive le feu qui couve, avec de nouvelles bûches. Bouftou installe sur la table basse quelques assiettes de bredeles (petits fours alsaciens à la cannelle et au citron en forme d’étoile, de demi-lune ou de bonhomme) de sa création ; il en avait appris la recette au cours d’un séminaire pâtisserie à Colmar. Dandy fait péter le bouchon d’un jéroboam de champ’ bien frais et assure le service.
Blanche-Neige lève sa flute en disant : « prost ! », c’est-à-dire « santé ! » en langue germanique (nous sommes dans un conte allemand, ne l’oublions pas !). Après que chacun eut liché une première gorgée, Cosinus engage la conversation :
- Tout d’abord, nous te remercions pour avoir remis notre cambuse en état. Mais ne te berlure pas en pensant que nous sommes des cradingues. Dans notre village, il se passe toujours quelque chose, un peu comme aux Galeries Farfouillettes. Cette semaine, a été déclarée la « semaine crassouille » et demain, un jury de gais lurons devait décerner le premier prix à la casbah la plus dégueu. Nous allons donc déclarer forfait, mais ne te casse pas le bourrichon, ce n’est pas de ta faute ; tu n’étais pas au courant ! Parles-nous de toi. Qui es-tu ? Qu’est-ce qui t’a conduit jusque chez nozigues ?
Blanche-Neige dégoise alors ses tribulations et les intentions assassinesques de la Reine. Les nains assis en demi-cercle auprès d’elle, s’offusquent à l’esgourde de tant de noirceurs. Terminant son patrigot et pour ne pas les mettre en danger, elle rajoute que dès le lendemain, elle décarrera pour se trouver une nouvelle planque car elle ne veut pas que la Reine raboule en suif dans leur bastringue, détruisant leur bicoque et les jetant dans les oubliettes de son château. Sur ses dernières déclarations, des murmures de réprobation fusent. Cosinus réclame le silence et débagoule :
- Il n’est pas question que tu gicles de notre cambuse pour notre sécurité. Si tu as posé tes valoches chez nous, c’est que tel est notre destin et nous t’offrons assistance et protection. Laissons le sablier du temps faire son œuvre (elle n’est pas belle cette métaphore ? un chouia de poésie, ça vous chanstique un dur à cuire en pierrot lunaire) ; dans quelques temps, la vieille mégère finira par t’oublier, mais pour l’heure, accepte notre hospitalité. Nous n’avons dans le coinsto que des potes qui ne moufteront pas ; fais-nous confiance ! Mais il se fait tard, occupons-nous de ton couchage !
Toute la tribu des rase-bitume débaroule l’escadrin. Le débarras du rez-de-chaussée est nettoyé sommairement et quelques coups de marteaux et assemblage de planches plus tard, un lit à la taille de la princesse est improvisé. Dandy a cousu à la hâte une paire de draps et une couverture de laine. Tout ce petit monde souhaite la bonne nuit à la Gisquette et chacun part rouler sa viande dans les torchons.
Le lendemain matin elle se réveille un peu tourneboulée devant la tournure des événements, mais très vite son tempérament joyeux prend le dessus et c’est toute guillerette qu’elle rejoint Bouftou dans la cuisine, lequel est en locomotive… pardon, je voulais dire en train… de préparer le petit-déjeuner. A sa demande, elle opte pour un bon bol de chocolat chaud au lait bourru, comme ses hôtes. Elle lui prête la main pour installer la table, grille quelques tranches de pain au toasteur acheté en solde à Mammouth qui a tellement écrasé les prix, qu’il s’est fait écrasé lui aussi. C’est la deuxième disparition de ce grand mammifère dont Coluche a immortalisé l’épitaphe « Mamie écrase les prouts ! ». Après leur collation, les nains se rendent chez Brico-Merlin faire quelques emplettes.
Blanche Neige profite de ce moment pour faire une petite trempette et se loque d’une salopette ‘’Esprit Overall’’ en jean bleu foncé, poches plaquées à l’italienne, avec revers à la hauteur des chevilles, d’un chemisier madras jaune-orange et dégradé de bleu, manches longues et poignets mousquetaire et se chausse de sneakers new Adidas blanches. Elle rajoute son serre-tête jaune-orangé, sa chaine et sa médaille de baptême qu’elle sort de sa boite à bijoux bien rangée dans son sac Vuitton.
Elle commence à préparer la bectance en épluchant les légumes et chantonne :
- Un jour mon prince viendra ! ? ? ? Mais intérieurement, elle soupire en songeant que tous les mectons du palais ne sont que des boutonneux qui n’ont pas inventé la poudre ni l’eau tiède. En plus, ils sont du genre craspec et ne connaissent la flotte que les jours de pluie, à Noël ou à Pâques. Ils ne lessivent leurs calcifs et leurs fumantes qu’une fois par mois et leur humour ne dépasse pas les blagues carambar. Bref, de quoi faire entrer au couvent la plus délurée des gueuses.
C’est alors qu’elle entend le bruit d’un véhicule...
Fin de l’épisode... à suivre
Ki t’est-ce donc que vient ?
Réponse A - C’est samedi le jour des équevilles. Il s’agit tout simplement du passage de la voiture des poubelles.
Réponse B - C’est la bagnole du commissaire Labiture accompagné de son adjoint Poivrot-Dabor et de deux policiers. Muni d’un mandat de ramener, il vient chercher la princesse pour la livrer à la reine.
Réponse C - Les Rase-moquette rentrent de courses, le coffre plein de matos dégotté à Brico-Merlin le spécialiste du bricolage qui enchante.
Réponse D - C’est la guimbarde d’un théâtre ambulant venu annoncer par haut-parleur, la représentation de leur spectacle : « Pinocchio restera-t-il de bois face aux avances de Miss France ?»
Glossaire :
Chipoter – faire le difficile et aussi marchander : une petite nuance dans faire chipoti-chipota qui signifie être maniéré, précieux, minauder.
Jaspiner ou jabiller c’est parler.
Pioncer – une des quinze façons d’évoquer le dormeur, tout le monde connaît l’expression pioncer à l’hôtel du cul tourné pour dormir fâchés.
Chiader, accomplir parfaitement une tâche.
Briffer, tortorer c’est manger copieusement.
Menteuse : langue (tiens c’est féminin... Aïe ! Qui m’a frappé ?).
Être ou se sentir benaise – en parler lyonnais, c’est la contraction de se sentir bien à l’aise, se dit surtout après un bon repas. Torche croupion ou torche-cul désigne un mauvais journal et aussi la profession de foi déposée dans la boite au lettre par un candidat aux élections ; un torche-morve c’est un mouchoir, alors pour relever le niveau, j’ai décidé d’appeler une serviette de table un torche-babouines (essuie-lèvres) à noter que si limace au singulier est une chemise, limaces au pluriel, ce sont aussi les lèvres.
L’escadrin, comme escalier, se dit au singulier quand il s’agit d’un ensemble de marches qui arrive sur un palier. S’il faut passer par plusieurs paliers, il faut dire les escaliers ou les escadrins (amis défenseurs de la langue française bonjour !).
Surprise au déballage, se dit surtout d’une femme que l’on rencontre à son lever (en tout bien tout honneur) avant le passage à la case coiffure et maquillage.
Bitos, galurin ce sont des chapeaux, mais pas des casquettes !
Ciboulot c’est la tête et surtout le haut du crâne.
Se berlurer, se tromper lourdement.
Se casser le bourrichon, c’est réfléchir intensément et se tourmenter tandis que se casser le cabochon, c’est réfléchir simplement parce que la bourriche relève d'une tête d'académicien et la caboche la tête du commun des mortels.
Décarrer, partir d’un lieu et gicler partir vite, se sauver.
Rabouler en suif ou en pétard c’est arriver très brutalement, en colère.
Moufter, dénoncer comme le font les moutons faux-détenus ou les balances qui sont des délateurs patentés et appointés.
Rouler sa viande dans les torchons, aller se coucher.
Prêter la main, en lyonnais c’est aider manuellement.
Calcif, calbute ou calbar, c’est le caleçon ou caneçon en parler lyonnais.
Chanstiquer : la chanstique, c'est le trafic frauduleux, le désordre, mais aussi le changement (en général) et c'est ici cette acception de chanstiquer qui signifie transformer ; et donc chanstiquer un dur à cuire en pierrot lunaire, c'est transformer un homme brutal en doux rêveur.
Équevilles ce sont les balayures, les ordures en parler lyonnais.
L’argot (de même que les parler régionaux) est au français, ce que la garniture est à la choucroute. Il rend le contenu d'un texte encore plus plaisant et plus gouteux. Relisez cet épisode en y ajoutant les nuances du glossaire, vous y verrez, c’est plus joyeux et plus chantant.
Épisode 8 - Rencontre avec les voisins
Les femmes préfèrent être belles plutôt qu’intelligentes parce que, chez les hommes, il y a plus d’idiots que d’aveugles
Yvonne Printemps
Où Blanche-Neige fait la connaissance des habitants de la petite maison dans la prairie.
Ce sont bien nos amis les nains qui rentrent de chez Brico-Merlin. Ils sortent de la remorque le matos acheté au magasin de bricolage, planches, quincaillerie, cabine de douche et toilette privative en kit, tout ce qu’il faut pour transformer la pièce du bas en chambre d’hôte.
Ils se mettent en sale et avec efficience comme on dit dans les entreprises, ils se mettent au turbin, objectif : nettoyage du plafond à la française, crépi sur les murs, finalisation du lit, coiffeuse, petit table, montage de la cabine de douche et du coin toilettes. Bref à côté de nos amis, l’équipe de Valérie Damidot passe pour de pâles amateurs dotés de deux mains gauches.
En fin de matinée, ils sont rejoints par Dynamite et Hercule qui rallègent de chez les voisins avec un chariot contenant un stère de bûches pour la cheminée, les soirées étant encore frisquettes.
Comme de bien s’accorde, pour donner la main, pendant qu’ils mouillent la liquette, Blanche-Neige prépare "la bouffe à la galetouse" de midi : salade de pâtes aux dés de jambon, casse-dalle à la rosette et cornichons, rigottes de chèvre, assortiment de fruits secs, quelques pots de beaujolpifs, et brocs d’eau tirée de la source qui alimente le petit ruisseau qui coule à proximité de la cambuse.
Pendant cette petite interruption de leur labeur, Dynamite, met la gosseline au parfum concernant leurs voisins.
- Il s’agit d’une famille venue des Amériques qui crèche à quelques centaines de mètres à gauche en sortant, dans la petite maison dans la prairie, située juste après notre petit bosquet. Le père, Charles, est un solide gaillard un peu comme Hercule et il se fait suer le burnous comme bucheron. Il vit à la colle avec sa chenuse fenotte Caroline. Le couple élève leurs trois pisseuses, Mary, Carie et Laura la petite dernière, une pisse-trois-gouttes toujours à courater et se rouler dans l’herbe pour faire fuir reinettes et papillons. Ca gonfle un peu son paternel qui se demande parfois si elle n’a pas été bercée trop près du mur, il en redouble d’efforts en fendant le bois avec sa hache. Si tu es d’accord, nous avons invité demain tantôt, nos amis pour le café.
- J’en suis ravie rebrique la princesse.
Il faut dire que la famille entretient de bonnes relations avec les nains qui, lorsqu’ils ne marnent pas à la mine, aiment à fabriquer des jouets qu’ils offrent aux momignardes pour les anniversaires et aussi le jour de Noël. Il convient de préciser ici que nos petits amis ont passé un deal avec le personnage dont Blanche-Neige avait vu le portrait dans la cabane à outils ; c’est un vieillard un peu excentrique qui bosse en Laponie au village de Rovaniemi avec une tripotée d’assistants, et qui a décidé de promouvoir la fête des enfants. Ils le rejoignent début novembre et l’aident à finaliser ses dernières commandes qui sont toujours livrées pile-poil, la nuit du 24 au 25 décembre au moment des saturnales.
Les rase-moquettes retournent au charbon en chantant leur chanson favorite
(Hommage souriant à leur copain Henri Salvador) :
Le travail c’est la santé ? ? ?
On n’a pas peur de trimer ? ? ?
Nous quand on bosse au boulot ? ? ?
On met le turbo. ? ? ?
Le soir tout est terminé et après avoir savouré le repas préparé par leur amie, ils ne s’attardent pas longtemps au salon avant d’aller filer dans les toiles. Toute heureuse d’étrenner sa chambrette, notre gisquette se glisse dans les bannes. Un peu excitée à l’idée de voir du monde demain, elle sort de son sac Vuitton le bouquin d’une auteure suédoise qu’elle apprécie, Catharina Ingelman-Sundberg, « Comment braquer une banque sans perdre son dentier » (Je l’ai lu et le conseille fortement, c’est jubilatoire, fluide et rafraîchissant). Elle lit quelques chapitres, avant de s’endormir un sourire aux lèvres.
Le lendemain dimanche sous un beau soleil, la matinée s’écoule vite : passage au temple-église où les nains assistent à l’office protestant et Blanche-Neige à la messe catholique (à Heidelberg, pendant plus de deux siècles, l’église du Saint-Esprit était partagée avec une cloison qui permettait aux deux cultes d’être célébrés dans le même édifice), repas de midi frugal, Bouftou et Blanche-Neige préparent une tarte aux pralines, la dubéloire pour le café et la bouilloire pour le thé.
Les invités arrivent avec une tarte au citron préparée par Caroline et une fois les présentations faites, comme il fait beau et doux, tout le monde s’installe en terrasse.
Caroline, Mary et Carie s’enquièrent de la vie à la cour. La princesse rencarde :
- Ma belle-doche est malheureusement du genre coincée du lasagnier, alors les fêtes et les bals sont quasi inexistants. Pour satisfaire sa pratique du culte de la personnalité, ses courtisans se conduisent en carpettes, toujours l’échine courbée en vomissant leurs compliments à son passage. Tout ceci n’est guère folichon et ne risque pas d’évoluer car la régence doit perdurer, jusqu’à mon mariage. Les prétendants sont plus rares que les pourliches d’un écossais et ils sont le plus souvent éconduits par les gardes, aux postes-frontières du royaume.
- T’inquiète, ma belle ! lui déclare Caroline, nous allons tâcher moyen de t’apporter quelques distractions.
Pendant que nos minettes taillent le bout de gras, les mectons se sont mis en bras de chemise et manière de se démangogner un tant soit peu les agotiaux, ils se mettent de collagne, en quadrettes et rejoignent le clos pour faire une longue, c’est-à-dire une partie de boules appelée aussi « la lyonnaise ».
Dans la première équipe, Cosinus et Dynamite sont les tireurs et Bouftou et Rêveur les pointeurs ; l’autre quadrette comprend Charles et Hercule comme tireurs et Grisbi et Dandy pour pointer.
- Vous allez prendre une fanny, déclare Charles à Cosinus qui répond en riant :
C’n’est pas demain la veille avec Dynamite qui queute ses carreaux secs et Bouftou qui fait surtout des brochets au lieu de biberons.
- Si je ne tète pas le but, c’est à cause que ma boule, elle a heurté un gratton, rétorque Bouftou et vous allez y voir que tantôt nos tireurs vont réussir leurs bauches.
La partie se déroule avec de nombreuses fausses altercations et de franches rigolades dès que Dandy pointe en premier après avoir lancé le cochonnet et réalisé un museau contre le petit. Le soleil commence à décliner vers l’horizon lorsque Caroline déclare :
- C’n’est pas tout ça, mais il se fait tard et nous devons prendre du souci. Demain c’est école et fête à bras.
Leurs aminches s’étant retirés, la princesse et ses hôtes rentrent à l’intérieur. Rêveur la mine soucieuse prend la parole...
Fin de l’épisode, à suivre...
Que dégoise Rêveur ?
Réponse A – Je crois bien que nous n’avons plus de cacahouètes pour l’apéro.
Réponse B – Je serais d’avis d’installer des barbelés et de mettre la mitrailleuse en batterie pour que la princesse puisse se défendre en notre absence.
Réponse C – Franchement, si Charles a marqué le dernier point aux boules, c’est parce qu’il a mordu la ligne après avoir pris son élan ; Je déclare la partie nulle.
Réponse D – Après souper, je suggère que nous mettions au point une stratégie pour la protection de Blanche-Neige.
Glossaire
Se mettre en sale - dans les autrefois, la semaine les gens s’habillait pour le travail et donc en parler lyonnais se mettre en sale par opposition à se mettre en dimanche, consiste à s’habiller sans craindre de se salir.
Rallèger - revenir, rentrer chez soi.
La bouffe à la galetouse - Manger sur son lieu de travail, vient de l’époque où les salariés amenaient à l’usine leur gamelle pour la pause de midi.
Cambuse - contrairement à l’argot qui lui donne une connotation négative, en parler lyonnais c’est un appartement ou une maison classique.
Se faire suer le burnous - comme pour mouiller sa liquette ou sa chemise, c’est travailler dur.
Vivre à la colle - être en couple sans être marié.
Pisseuse - ce terme désigne une petite fille et je n’ignore pas le caractère sexiste du terme car rien ne prouve que les filles font d'avantage pipi que les garçons, mais il est utilisé sans méchanceté.
Pisse-trois-goutte - se dit tout aussi affectueusement, d’une petite fille qui a la bougeotte.
Marner ou bosser - terme générique pour travailler.
Bannes, toiles, torchons - les trois mots désignent les draps.
Retourner au charbon - reprendre le travail après une pause.
Dubélloire - cafetière traditionnelle lyonnaise en grès ou en faïence qui fait partie du décor des loges de concierges, inventée par Dubelloy, neveu d’un archevêque parisien.
Lasagnier, comme morlingue c'est un porte-monnaie et en être coincé c’est être radin.
Tailler le bout de gras - discuter, bavarder.
Se démangogner les agotiaux - remuer les bras en tous sens pour s’assouplir. (parler lyonnais)
Se mettre de collagne - se réunir par affinité en parler lyonnais.
Nous voilà dans le vocabulaire du jeu de boules lyonnais. La lyonnaise appelée aussi la longue obéit à des règles très précises que je vous expliquerai un jour. Pour l’instant voici quelques expressions familières :
Queuter ses carreaux secs, pour le tireur, c’est manquer de toucher la boule adverse en essayant de se mettre à sa place. Faire un brochet la boule du tireur atterrit loin de l’objet visé. Un biberon c’est quand la boule colle contre le but, c’est aussi téter le but ou réussir un museau contre le petit. Heurter un gratton la boule est déviée par un petit caillou. Réussir une bauche, la boule frappe et se met à la place de celle éjectée.
Prendre du souci - rentrer à la maison.
Fête à bras - reprendre le travail
Épisode 9 - La Reine prépare sa rebiffe
A l’impossible dit-on nul n’est tenu.
Mais impossible n’étant pas français, ce proverbe ne concerne que les étrangers
Pierre Dac
Où la princesse a du souci à se faire quand on connait les préparatifs de la mauvaise.
Rêveur rencarde ses potes :
- Je n’ai pas voulu casser l’ambiance cet aprème, mais, pendant la partie de boules, Charles m’a informé qu’il a reçu un mail d’un de ses clients qui bosse au palais. Le bruit cours que la vieille taupe aurait eu vent de l’embrouille entre Marcel le garde-chasse et la Demoiselle. Elle serait en pétard et prête à tout, surtout au pire ; aussi je suggère qu’après souper nous mettions au point une stratégie pour la protection de la princesse.
A l’énoncé de cette info, un court silence s’installe, puis tout le monde se met à barjacter en même temps.
Quittons cette cacophonie champêtre, ça nous fera des vacances et dirigeons notre caméra vers le château pour en savoir davantage, en faisant un retour arrière sur ce qui s’est passé depuis hier au soir.
J’ouvre ici une parenthèse :
- Il est parfois nécessaire, pour bien comprendre une situation à suspens qui se déroule dans des lieux éloignés, de faire un retour sur les évènements antérieurs du lieu précédemment quitté. Cette figure de style narrative qui, en littérature, est une analepse, correspond au flash-back cinématographique. Tout ceci, place ce récit dans la lignée des créateurs de scénarii tels que « Citizen Kane » d’Orson Wells, ou « Casablanca » de Michael Curtiz, voire « Pulp Fiction » de Tarentino. Je n’sais pas ce que vous en pensez, mais cela mérite peut-être une nomination au Goncourt ou au Renaudot, quoi que je penche pour le prix Femina vu la sublimation féministe qui me caractérise. Je referme rapidement cette parenthèse qui, comme les portes de frigo, ne doit pas rester ouverte pour ne pas risquer de dauber les victuailles.
Sous des dehors futiles recouvert d’une carapace de maintien de soi et d’élégance, comme chez de nombreux auteurs, Fabulgone se lâche parfois et n’hésite pas à flatter son égo. Je vous y dis en toute discrétion, mais dites pas que je vous y ai dit ; je compte sur vous pour ne pas moufter. Mais reprenons le cours de notre histoire…
La reine avait reçu ce qu’elle crut être les organes de Blanche-Neige et les avait donnés en cuisine pour confectionner des atriaux savoyards (hachés de foie, poumons et cœur avec persil et épices, façonnés en boule et cuits dans une crépine) et les servir à la réception mondaine ayant lieu dans le parc (que les angliches appellent une garden-party) ce samedi, c’est-à-dire hier puisqu’on est dimanche. Ça va tout le monde suit ? Personne n’est en rade ni ne s’est mélangé les pinceaux et les boyaux du cerveau ? Bon ! Alors je poursuis.
Tout va pour le mieux au barbecue le soir même. La princesse Cendrillon bave sur les rouleaux du petit Chaperon Rouge en affirmant qu’elle est sapée genre pouf, avec sa mini-jupe et son blouson de cuir carminés. Le roi Dagobert qui a encore mis son falzar à l’envers, se lansquine sur les godasses vu qu’il ne trouve pas sa braguette. Roland comte de Roncevaux surnommé « Olifant’man » en profite pour jouer de son corps avec Peau d’âne qui en a ras les couettes d’être courtisée par son paternel. Tout baigne donc chez les têtes perlouzées, et vers les trois plombes du mat’, chacun repart rejoindre ses pénates, avec sa citrouille, son carrosse, ou sa Rolls.
La Reine qui a biché comme un vieux pou, toute la soirée, part se zoner un tantinet crevée. Elle a les arpions chauffés à blanc, le rimmel et le fond de teint prêts à faire des bulles et elle prétexte un mal de tronche carabiné, pour que Schwarzy, son nouveau compagnon de bordée (que les rosbifs appellent boyfriend), lui lâche les baskets. Le lendemain matin après avoir mis ses faux-cils et rajusté sa perruque, elle vérifie la tenue des coutures de son dernier lifting et se pointe avec un sourire carnassier, sa zapette à la main, devant son miroir. Lorsque l’écran s’allume, elle s’interloque en zieutant Gaston le dos tourné. Elle piaule :
- Eh, face de carême, c’n’est pas ton joufflu qui m’intéresse, montre-moi ta trombine !
Le génie se retourne :
- Fais-excuse ma Reine, ton pas est si léger, que j’n’avais point ouï ta présence. J’ai aussi les portugaises un chouia ensablées à cause d’un reliquat d’oreillons. Va falloir que j’aille à la consulte de l’ORL pour mon décérumenage annuel.
- Arrête ton char et tes excuses bidon et lorgne mégnasse ! Qu’en penses-tu, ne suis-je pas la mieux balancée ?
- Sans conteste votre grandeur est la mieux chiadée du palais !
- Me prends pas pour une brelle, au château y a que des thons ! C’est de tout le royaume que je te cause. Rencarde-moi où t’iras pointer chez chômdu !
- Ok mais je me déballonne sur ce qui va arriver. Votre nièce que je zieute en train de ranger sa boite à bijoux dans son sac Vuitton, crèche chez les sept piocheurs qu’ont le tuyau d’échappement près du gazon et elle reste la mieux roulée du royaume.
La reine manque s’étranglouiller ; elle vire cramoisie et sans pouvoir rétorquer, enfonçe nerveusement la touche off de la zapette, renvoyant Gaston à Pétaouchnock. Elle bigophone chez son cousin, un peu sorcier et tout aussi teigneux qu’elle :
- Platt-Fuss (prononcez plate fousse), ramène ta fraise, j’ai besoin d’un coup de paluche et de tes compétences de transformiste. Tu peux ralléger avec ton matou Azurel qui, je l’espère, est toujours aussi mal dressé. Il pourra mettre le souk en cuistance et faire enrager le maître-queux. Ce n’est pas la peine d’avoir fait l’école Hôtelière avec des stages chez Troisgros et Bocuse, pour que cet enfoiré se montre incapable de faire la différence entre des abats de sanglier et ceux d’une mijaurée.
Quelques plombes plus tard, le sorcier arrive avec son greffier qui aussi sec courate rejoindre la cuisine, renversant les saucières et chouravant les saucisses. Platt-Fuss, sourcils broussailleux et tonsure ivoire, est vêtu d’une longue tunique noire à capuche. Il descend par la cuisse gauche, d’une lignée de sorciers gnomes qui habitent la Forêt Noire en Allemagne et pratiquent la magie noire. Par suite d’un problème génétique, il s’était retrouvé de la taille d’un homme ordinaire avec toutefois un souci du côté des ripatons aussi plats qu’un encéphalogramme de hooligans, il fut surnommé Platt-Fuss, vocable que l’on pourrait traduire en français par : Pied-Plat.
Domicilié à proximité de la gare Gamelle, Il sévit dans une contrée où résident de gentils petits personnages bleus, pas plus grands que des chaussinettes d’enfants (strumpf en gothique). Il est leur ennemi juré, mais malgré ses pouvoirs de se transformer en n’importe quel personnage, il n’est jamais parvenu à les capturer pour les déguster après les avoir passés à la centrifugeuse. Une vieille légende d’Outre-Rhin affirme que le strumpfsaft (jus de chaussettes) qu’il faut boire à jeun le matin, donne une pêche d’enfer et serait même, source d’immortalité.
- Cousin, mielleuse la Reine, t’es une pointure pour modifier les trombines ; prépare-moi un philtre qui me transformera en Danièle Gilbert. La princesse, cette petite punaise, se laissera berlurer vu qu’elle est accro de Midi-Première à la téloche. Je pourrai ainsi l’approcher et lui faire sa fête.
- Banco cousine, que ricane Platt-Fuss. Où que c’est-y que je peux œuvrer ?
- Suis-moi l’artiste ! Elle emprunte (pour pouvoir le rendre) l’ascenseur dérobé interne, car les escaliers dérobés n’existent plus que chez les gagnepetits et les nobliaux traine-misère, et ils descendent au deuxième sous-sol. Le premier sous-sol sert de parking à péage ce qui permet à la rapiate de faire casquer le stationnement de leurs véhicules, à ses invités. Ils pénètrent dans une immense cave voutée, traversée par une rivière qui alimente les douves du château d’où la reine peut quitter incognito son château à bord d’un petit bateau électrique et silencieux.
La Reine pas peu fière, montre à son cousin sa dernière emplette attriquée à la foire internationale du sorcier moderne. Il s’agit d’un chaudron en polymère électro-actif avec sonde et capteurs intégrés qui permettent la diffusion interne et harmonieuse de la chaleur et offrent un mode de cuisson de qualité vitrocéramique.
- Impossible de rater une préparation, dit-elle ! Tu jettes dans le récipient, de la bave de crapaud, une plume de blanche colombe, des yeux de merlans frits, de la langue de vipère, un pied de cochon pour le moelleux, une jambe de bois, un cœur d’artichaut, une cuisse de mouche, trois litres d’eau de vase et un petit verre de schnaps. Tu programmes thermostat 3,14, et roule ma poule, le temps de faire ta grille de mots croisés, ta potion pour soulager les verrues plantaires, ravigoter la libido d’une momie égyptienne, désanorexiquer les mannequins de mode, humaniser un usurier, ou favoriser la repousse des cheveux, elle se retrouve conditionnée en flacons, étiquetés et prêts à être commercialisés auprès de ma clientèle de prétendus gourous, marabouts, voyants, exorciseurs, médiums, aruspices, augures et faux-prophètes de tous poils. Impressionné, Platt-Fuss se met au turbin et en quelques broquilles, le breuvage magique est d’équerre. Les deux affreux fêtent d’avance leur succès, persuadés de la réussite de leur arnaque, en faisant péter le bouchon d’une demi-roteuse qu’ils enquillent aussi sec en dégustant quelques toasts de cafards grillés au beurre de limace.
Lundi en fin de matinée, la Reine décanille vers la forêt avec son GPS pour ne pas se paumer et la fiole contenant le breuvage magique qu’elle range dans son sac Hermès (elle n’a pas les mêmes valeurs que sa belle-fille). S’approchant de la chaumière, elle se mouille la meule avec le breuvage magique et aussi sec se transforme en sosie de la grande Duduche. La ressemblance est telle que lorsque Blanche Neige la borgnote, elle ne se gaffe de rien. Elle pense même qu’elle va passer à la téloche sur Midi Première. La jactance entre les deux donzelles s’engage :
- Bonjour Danièle !
Fin de l’épisode, à suivre...
Que va-t-il arriver ?
Réponse A – Blanche-Neige feint de croire à la venue de Danièle Gilbert ; elle entarte en pleine poire la reine mère qui retrouve son physique (la crème fait antidote) et part en courant rejoindre son château.
Réponse B – La reine réussit à entrer chez la gamine et lui fait enfiler un corset magique.
Réponse C – Charles qui avait été chargé de surveiller la chaumière se pointe avec sa hache et une course poursuite s’engage entre lui et la reine.
Réponse D – Blanche-Neige évoque sa tristesse de ne plus voir sa belle-mère qu’elle aime malgré ses défauts et la reine tombe à genoux en demandant pardon à sa belle-fille.
Glossaire :
Rencarder : renseigner dans le sens de prévenir.
Barjacter : parler vite et fort.
Se mélanger les pinceaux ou les boyaux du cerveau marque une grande confusion.
Baver sur les rouleaux c’est faire preuve d’une grande médisance, c’est ce que le loup reproche à l’agneau dans la fable.
Bicher comme un vieux pou : être suffisant, sardonique.
Partir se zoner : aller se coucher.
Piauler, comme quincher, c’est crier d’une voie pointue et aigüe.
Joufflu : les fesses.
Avoir les portugaises ensablées c’est avoir les oreilles bouchées.
Lorgne mégnasse : regarde avec attention moi-même, observe-moi bien.
Se déballonner : ne pas porter le chapeau, refuser toute responsabilité.
Pétaouchnock : localité (imaginaire) très lointaine. A l’origine, il s’agissait d’une création fantaisiste et xénophobe car il s’agit d’un pays indéterminé peuplé de noirs.
Chouravé ou chouré c’est voler, pas dans les airs mais dans la poche du voisin.
Attriquer : acheter quelque chose.
Être d’équerre : convenir parfaitement.
Décaniller : partir à pied.
Borgnotter ou borgnoter : regarder avec attention en plissant les yeux.
Se gaffer : utilisé ici pour se douter, se gaffer c’est aussi se tromper. Jactance : terme générique pour un échange de propos.
Nous sommes en train de gravir un échelon dans l'intensité dramatique.
Ajouter un commentaire